Mourad Dhina,
physicien théoricien brillant, dont la carrière scientifique fut
interrompue suite aux évènements d'Algérie des années 90, languit à la
prison de la Santé à Paris, depuis le 16 Janvier 2012, après son
arrestation scandaleuse à l'aéroport d'Orly. Injustement accusé
"d’association à des actes terroristes", il se bat depuis contre une
demande d'extradition vers l'Algérie.
Compte tenu de la personnalité de l'accusé et de
la désinformation incroyable qui entoure le dossier, nous pensons qu'il
est important de démêler l'écheveau de cette affaire, où chaque partie
semble être mue par des intérêts inavoués pour faire taire une figure
emblématique de l'opposition politique non-violente.
Du côté français, c'est la perversité du
Sarkozysme qui ressort, cherchant, en pleine campagne électorale, à
prouver son volontarisme sécuritaire surtout à l’encontre des milieux
islamistes. Pour le régime algérien, il s'agirait essentiellement
d’exhumer les vieux démons des années 90, avec son lot d'incriminations
contre tous les intellectuels islamistes, incriminations tombées en
désuétude tant les concoctions envers les accusés étaient mal étayées,
quand elles ne se sont pas éteintes naturellement depuis la loi sur la
concorde nationale. Il est intéressant de remarquer d'emblée que le
mandat d'arrêt international, datant de 2003, utilisé pour interpeller
le Dr Dhina, n'avait pas été pris en considération auparavant, lors de
ses différents voyages à Paris.
Il avait d'ailleurs été largement vidé de sa
substance, si ce n'est de sa légitimité, à l’issue des 6 ans d'enquête
menée par la justice Suisse, qui l’ont conduite à classer définitivement
l'affaire, après l’avoir jugée totalement infondée. Rappelons que la
Suisse était son lieu de résidence depuis quelque deux décennies. La
justice française serait-elle plus royaliste que le Roi ? Il n'est pas
déplacé de penser que la campagne électorale hexagonale a contribué à
enflammer le cours des choses, comme nous le confirme amplement
l'affaire Merah, un mois après l'arrestation de Mourad Dhina. D'autre
part, il est difficile d'imaginer que ce soit la partie algérienne qui
ait décidé de réactiver ce mandat d'arrêt, a fortiori à
l'approche des élections législatives ici, sachant pertinemment que le
dossier contre Mourad Dhina était substantiellement vide. Ceci dit,
ajoutons vite que la logique des appareils en place ne verrait
certainement aucun inconvénient à en finir avec un implacable opposant
politique.
Mourad Dhina, le scientifique
Le parcours de Mourad Dhina donne une idée de la stature de l'homme.
Il obtient son baccalauréat avec mention « très bien » et fait partie
des lauréats reçus et primés par le président Chadli. Majeur de promo à
Bab-Ezzouar en physique théorique en 1983, il poursuivra ses études au
Massachussetts Institut of Technology, l'une des universités les plus
prestigieuses des Etats-Unis et à la renommée mondiale, au point d'être
parfois qualifiée de fabrique de prix Nobel. Intégré dans le groupe de
Samuel Ting, prix Nobel de Physique pour sa découverte du méson charmé,
il obtient son doctorat en un temps record, alors qu'il n'avait pas
encore 26 ans. Rappelons dans la foulée qu'il est issu d'une famille
patriotique qui a tant sacrifié pour l'Indépendance, et dont l'oncle
n’est autre que le fin lettré francophone bien connu : Amar Dhina.
Recruté à l'Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich
(ETHZ), il travaillera sur le grand détecteur L3 du LEP au CERN,
l'accélérateur de particules le plus puissant de l'époque, et se
destinait à une grande carrière scientifique, avant d’être rattrapé par
son engagement politique subséquent !
Conscient de son devoir envers son pays, il
engagea toute une série d'initiatives et procédures pour que l'Algérie
intègre le CERN, la plus grande institution de physique sub-nucléaire au
monde, et dont il était le seul chercheur associé algérien à l'époque.
Ces efforts n'aboutiront pas, mais notons que plus de 20 ans après,
l'Algérie n'est toujours pas membre du CERN, et est d'ailleurs le
dernier grand pays du Tiers Monde à ne pas l'être !
Son engagement politique
De son lieu de résidence en Suisse, il suit de
près l'évolution rapide de la situation politique et sociale sur la
scène algérienne, durant ces années charnières que sont la fin des
années 80. En tant qu'intellectuel engagé, il s'oppose résolument à
l'arrêt du processus démocratique et la confiscation de la voix du
peuple, et s’investit dans une campagne de sensibilisation de l’opinion
internationale sur les violations des droits de l’Homme en Algérie.
Dans le collimateur de Charles Pasqua, le ministre
de l'Intérieur français, à l'époque où la France s'érigeait en grand
défenseur de "l'arrêt du processus électoral", il perd son poste au
CERN. Ce n'est qu'en 1992 qu'il rejoint l'instance du FIS à l'étranger,
juste après que celui-ci ait été dissout administrativement, pour ne la
quitter qu'en 2005, date de la libération de Ali Belhadj et de Abassi
Madani ! C'est en tant qu'un des dirigeants du FIS à l'étranger qu’on va
lui faire endosser les accusations "d'association à des actes et
entreprises terroristes", en fait, toutes plus fallacieuses les unes que
les autres. De surcroît, comme si cela ne suffisait pas, il sera
l'objet d'une haineuse et implacable campagne de diffamation propagée
dans les cercles et journaux éradicationnistes algériens, dont les
inspirateurs étaient connus de tous.
Il poursuivra, cependant, avec détermination et
habileté son combat politique pacifique. Il saura notamment tisser des
alliances avec les différents groupes d'opposition et sera un des
acteurs principaux qui permettra la participation du FIS au dialogue de
San Egidio. Ce dialogue aboutira, entre autres, en janvier 1995, à la
signature par les forces politiques algériennes, dont le FIS, à la «
Plateforme pour une solution politique et pacifique de la crise
algérienne », communément connue sous le nom de « Contrat National de
Rome ». Cette plateforme adopte les principes du rejet de la violence
pour accéder ou se maintenir au pouvoir, le contrôle civil de l’armée,
le multipartisme et l’alternance politique, le respect et la promotion
des droits de l’homme, la garantie des libertés fondamentales, et
l’islam, l’arabité et l’amazighité comme éléments constitutifs de la
personnalité algérienne.
Pourtant, cette plateforme rejetée en Algérie
"complètement et dans les détails", selon la qualification du ministre
des Affaires étrangères algérien de l'époque, au motif qu’elle mettait à
nu les prétentions du régime à s'imposer comme la seule alternative à
une barbarie annoncée, était d'une exemplarité et d'une lucidité
politique remarquables, et aurait pu constituer un point de départ pour
juguler la crise et mettre un terme aux tueries, si seulement une réelle
volonté politique avait animé l'autre bord.
Fabrication de "preuves"
Il est un de ces jeux vieux comme le monde, auquel
s'adonnent volontiers les gouvernements de nos régimes du Tiers Monde,
c'est celui de museler toute opposition en l'accusant de crimes
imaginaires…
Ainsi en est-il de l'accusation de Mourad Dhina en 1994, suspecté de
fournir un soutien logistique et même des armes aux groupes armés en
Algérie, sur la base du rapport d’un agent de la police genevoise. Il
s’avéra plus tard que ce policier était en liaison avec un agent des
services algériens résidant en Suisse. Les deux agents seront finalement
interpellés, et le ministère public de la Confédération helvétique
instruira cette affaire. Le Tribunal Fédéral suisse reconnaîtra les deux
agents "coupables d’espionnage et service de renseignements politiques
et de violation du secret de fonction", et les condamnera, le 5 novembre
1997, à des peines de prison, ainsi qu'à verser à Mourad Dhina "une
indemnité pour tort moral". C'est à ce moment précis qu'il sera condamné
par contumace en Algérie, à 20 ans d’emprisonnement.
Dans la même veine, toute une série d'accusations
graves « d'association avec le terrorisme » accompagnera ses années de
militantisme politique, qu'il ne cessera de dénoncer comme ayant été
créés de toutes pièces pour le réduire au silence.
Mourad Dhina, le défenseur des droits de l'Homme
Après la période FIS, Mourad Dhina s'investit
pleinement dans le combat politique non-violent et la lutte pour les
droits de l'Homme, tout au long de la période sombre de notre histoire.
Il fonde notamment avec d'autres opposants politiques le mouvement
d'opposition Rachad, qui milite pour une meilleure gouvernance en
Algérie et la nécessité pour les dirigeants de rendre des comptes. Il
est de plus un membre actif de la fondation Alkarama, avant d'en devenir
le directeur exécutif. Cette ONG lutte contre les violations des droits
de l’Homme dans le monde arabe et défend sans distinction les victimes
des violations, qu'elles soient hommes ou femmes, de courant islamique
ou laïque, sunnites ou chiites, chrétiens persécutés par le régime
égyptien ou juifs persécutés au Yémen.
Libérez Mourad Dhina !
Alors que 50 ans après l'Indépendance, les
scientifiques algériens de grand renom se comptent sur les doigts de la
main, il est déplorable de voir comment l'Algérie traite un de ses fils
les plus compétents, honnêtes et courageux, en le traînant dans la boue
et en l'emprisonnant honteusement, au mépris de toutes les règles
élémentaires de justice ! Le politologue Lahouari Addi, eu égard au
caractère exemplaire de la lutte pacifique de Mourad Dhina et de sa
stature humaine et politique, l'avait décrit ainsi : « Mourad Dhina est un Erdogan algérien, il défend un islam compatible avec les droits de l’homme et la démocratie ».
Mourad Dhina, le scientifique talentueux, l'homme
d'une probité intellectuelle et d'une intégrité morale à toute épreuve,
ce père de 6 enfants, connu pour son extrême affabilité et sa
gentillesse débordante, ne mérite pas de rester derrière les barreaux
pour une durée indéterminée, pour ce qui n’est finalement qu’un délit
d'opinion. Ces collègues, amis et voisins se sont exprimés à travers des
témoignages poignants diffusés sur Internet, condamnant l'infamie et la
bassesse dont il est victime, et qui n’ont pour seule visée que de
salir une personnalité exceptionnelle en l’associant à une improbable
entreprise terroriste.
Tout cela sur le sol d'une France, dont la justice
aux standards multiples et la législation répressive usent et abusent
de la notion de lutte contre le terrorisme pour en faire un fonds de
commerce politique et idéologique. Ce n'est pas sans surprise qu'après
trois mois de détention du Dr Dhina, la Cour de Paris a décidé le 4
Avril dernier d’accéder à la demande de complément d'information du
Parquet général, prolongeant ainsi sa détention de deux mois, non sans
avoir relevé les incohérences et contradictions du dossier présenté par
l’Etat requérant, et auquel les autorités françaises ont cru devoir
donner suite. Pourtant, le ministère public de la Confédération
helvétique avait attesté qu’une enquête, menée de 1994 à 2000, a été
classée en raison de l’absence de tout fondement des accusations portées
contre le Dr Dhina. La Cour de Paris n’a pas voulu tenir compte de ce
document et décida de poursuivre l’examen. Comprenne qui voudra !
Le Dr Dhina représente à nos yeux l'intellectuel
musulman talentueux, polyglotte, tolérant, intègre et généreux par
excellence, qui s'est totalement engagé pour des causes justes. Il est à
des années lumière de ces islamistes qui remplissent nos écrans
cathodiques, monolingues infatués de leur personne, champions de la
compromission et de la langue de bois, qui s'en vont pleurnicher pour
des voix imaginaires, dont ils se croyaient dépositaires, et qu'ils
n'ont pas obtenues.
Fils de l'Algérie, qu'il a su aimer au point de se
donner complètement pour tenter de la réformer, l'histoire ne nous
pardonnera pas de taire l’injustice criante qui frappe Mourad Dhina !
Sa détention arbitraire vient d’être prolongée en
vue d’une nouvelle audience le 4 juillet prochain. Le 19 juin, la
justice française s'est opposée à son extradition, quoique la décision
finale reviendra au gouvernement français.
Nous espérons vivement que le gouvernement
algérien reconnaîtra l’absurdité de poursuivre Mourad Dhina, et lèvera
les lourdes charges qui pèsent contre lui, d’autant plus que ce serait
dans son intérêt de le faire au plus vite. Un scénario du pire pour
Alger serait certainement que le ministère français de la Justice et des
libertés et Garde des Sceaux se prononce définitivement pour sa remise
en liberté.
Agissons aujourd'hui pour que Mourad Dhina puisse recouvrer sa liberté et que sa parole soit enfin libérée !
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