vendredi 19 octobre 2012
Abdenour
Ali Yahia
L’été n’est
pas propice à l’action mais à la réflexion, qui est l’exigence fondamentale.
L’automne algérien sera chaud, tous les signes extérieurs de la violence sont
en place et personne ne sait comment il va se terminer. Le Printemps arabe, qui
a renversé les dictateurs, ne doit pas dégénérer en hiver intégriste mais
devenir un automne de la démocratie.
L’Afrique du
Nord et le Moyen-Orient commencent à se débarrasser du joug des tyrans et des
despotes qui s’aident et sont les seuls à faire preuve d’esprit de famille. La
politique traditionnelle de l’Occident est basée sur son soutien inconditionnel
aux dictateurs pro-occidentaux du Tiers-Monde.
L’Algérie
qui a connu, après «une longue nuit coloniale», une longue dictature,
prendra-t-elle le chemin d’une démocratie apaisée pour construire une société
de liberté et de justice, avec une répartition équitable du revenu
national ? Nous sommes dans l’impasse politique, mais nous voulons en
sortir. Faire un diagnostic lucide, clair, total et rigoureux, c’est découvrir
une Algérie malade d’immobilisme politique, de mauvaise gestion, de corruption.
L’Algérie, qui entre dans le XXIe siècle en marche arrière, ne cesse de se
perdre car elle oublie qu’elle n’est plus au Moyen-Age. Pour ne pas répéter les
erreurs du passé, il faut faire preuve de maîtrise et de responsabilité, faire
des réformes en profondeur par une politique réfléchie, préparée, expliquée, attentive
à l’avenir qui s’inscrit dans le IIIe millénaire.
Il ne faut
pas labourer le même sillon mais ouvrir d’autres chemins pour l’action
politique, par un contact direct et privilégié avec les forces d’avenir qui
bouillonnent dans le cœur des jeunes générations. Est venu le temps de la
doxographie fondée sur l’intervention permanente de l’opinion dans les
affaires publiques. Les spécialistes, historiens, sociologues, économistes,
doivent se mobiliser pour de vrais débats. L’Algérie a besoin de femmes et d’hommes
expérimentés, capables d’analyses et de réflexions pertinentes dans les
domaines concernés.
Le peuple algérien, ce grand absent dont on parle toujours, sera reconnu
souverain et majeur le jour où les Algériennes et les Algériens, considérés
comme sujets, accèderont à la citoyenneté.
Dans la
dictature, la Constitution n’a pas de rapport avec le pouvoir en place parce
que la pratique l’éloigne des règles constitutionnelles.
Pour préparer l’avenir il faut maîtriser le présent, construire une alternative
et pas seulement une alternance au pouvoir. La clé du futur se trouve dans la
sphère politique, dans sa démocratie. L’Algérie a besoin d’espoir, espoir de
démocratie, de justice et de liberté.
Les partis,
combien de divisions ?
Le président Abdelaziz Bouteflika, qui voulait établir la bipolarisation,
c’est-à-dire l’organisation de l’espace politique entre deux partis dominants,
a donné l’ordre au ministre de l’Intérieur d’autoriser la création de je ne
sais combien de partis politiques. Quelle place pour les nouveaux partis dans
l’échiquier politique ? Il faut faire la synthèse des différents courants
politiques et idéologiques qui traversent la société. Les partis doivent éviter
le double jeu, être à la fois dans le pouvoir et en dehors.
Dans
l’exercice des partis politiques, la vision est indispensable pour donner du
sens et de la cohérence à leur action, la stratégie et la synthèse nécessaires
tant pour les diriger que pour mener à bon port leurs projets. C’est le temps
qui n’en finit pas pour faire la courte échelle à des dirigeants qui ne
s’attaquent pas aux problèmes de fond par absence de culture et d’analyses
stratégique. Les partis politiques doivent se reconstruire par la mise en œuvre
de projets à la hauteur des défis, par l’écoute de leurs militants de base.
Ils sont
déphasage avec la société et leurs conflits internes sont réglés dans la plus
grande opacité.
Les détracteurs de Belkhadem et de Ouyahia, parmi les nombreux cadres et
militants de leurs partis qui leur reprochent d’en faire des rampes de
lancement pour satisfaire leur ambition et prétendre à la magistrature suprême
prochaine, les contestent et les discréditent.
Le FFS historique, qui a incarné une alternative au système politique et à ses
pouvoirs a vécu ; nombre de ses cadres sont partis, d’autres ont été
écartés et ceux qui restent, peu nombreux, ne sont plus à la direction du
parti. Il doit renouveler son logiciel idéologique. Il n’est plus à l’écoute
des militants et déroge aux règles les plus élémentaires de la démocratie interne.
Il a cédé aux sirènes du pouvoir en acceptant de participer aux élections
législatives, devenant ainsi l’opposition du pouvoir et non l’opposition au
pouvoir. Il lui fallait une réflexion politique et non tactique et
conjoncturelle, populiste et électoraliste, avant de sympathiser sans tabou
avec le pouvoir.
L’appareil
du FFS croit rassurer ses militants et l’opinion en leur expliquant que son
retournement d’alliance est tactique : «Le choix du FFS de participer aux
élections relève de la pure tactique électorale et vise à remobiliser la
société.» On ne va pas aux élections par tactique, mais par conviction.
Le réveil tactique du FFS, qui fait de la politique un sens tactique, une règle
tactique, est une attitude virtuelle. La tactique politique relève du déni
d’une vision claire, cohérente, intelligente. Il ne faut pas galvauder le sens
des mots, sauf à leur voir perdre ensuite toute leur portée, abandonner cette
phraséologie qui résonne comme une coquille vide, éviter de se remplir la
gorge de mots purement tactiques qui deviennent un instrument de camouflage, en
tournant le dos à ce que rappelait Althuser : «Aucune tactique n’est
possible qui ne repose sur une stratégie et aucune stratégie qui ne repose sur
la théorie.»
Aucune
stratégie ne vaut sans une tactique qui permet de la mettre en œuvre.
L’appareil du parti a hérité d’un très lourd passif, mais il a réagi à la
multiplication des fronts de manière désordonnée. Ali Laskri, par ses
circonlocutions laborieuses, est le conducteur qui va droit dans le mur et qui
espère éviter l’accident en accélérant. Il avertit les militants et cadres du
parti qui s’en prendraient à son action qu’ils le trouveront sur leur route.
Mais ils peuvent l’écraser, les accidents de la route étant très fréquents en
Algérie.
Karim Tabbou est victime d’une vendetta de l’appareil du parti. La vengeance
est un plat qui se mange froid, mais il veut agir vite pour régler ses comptes.
Les
élections locales du 29 novembre 2012
Il n’y a pas
d’élections libres en Algérie. Dans la mémoire collective des Algériens, le
souvenir est frais de toutes les fraudes électorales. Tout a été dit sur ces
élections préfabriquées à la Naëgelen, comme l’a reconnu le président de la
République, qui ne servent qu’à reproduire le système politique. Tout pouvoir
qui n’émane pas de la souveraineté populaire librement exprimée par des
élections libres et transparentes est illégitime et engendre le totalitarisme.
Les
élections n’ont pas pour objet de choisir les dirigeants, car les choix sont
faits avant et ailleurs, mais seulement à les légitimer. La désaffection des
Algériens à l’égard du système politique s’aggrave à chaque élection par un
taux réel d’abstention chaque fois plus fort, porteur d’un message politique.
Il faut d’abord dénoncer les erreurs et les fautes du pouvoir, dans la
préparation, la cuisine électorale, la gestion des élections législatives du
10 mai 2012. La campagne électorale pour ces élections s’était déroulée
dans un désert d’électeurs, le boycott et l’abstention l’ont emporté haut la
main. Le schéma qui a prévalu lors de ces élections doit se répéter.
Le peuple
algérien, qui a boycotté les élections législatives, ne peut s’arrêter en si
bon chemin, mais continue son combat. Une volonté collective se dessine et se
mobilise pour qu’une sanction électorale exprime le rejet du pouvoir. Le
scrutin du 29 novembre 2012 sera marqué par un nouveau record
d’abstention.
Les codes communal et de wilaya sont rétrogrades, limitant les pouvoirs des APC
et des wilayas. La régionalisation préserve et renforce l’unité nationale. La
centralisation constitue une méthode de pouvoir et une structure d’organisation
archaïque, paralysante, qui ne correspond pas à la vie moderne. Le pouvoir
local doit être exercé par des démocrates partout où la fraude est limitée grâce
à la vigilance des militants et de la population. Le seul combat qui justifie
l’engagement des démocrates à prendre en main l’exercice du pouvoir local est
de libérer les APC et les APW de l’attitude du wali qui est devenu le véhicule
de la tyrannie bureaucratique et centralisatrice.
L’automne sera socialement très agité
Le peuple algérien n’a pas perdu sa capacité d’indignation. Un grand mouvement
social peut se manifester. Quelle forme prendra-t-il ? Les inégalités
criantes devenues socialement indépendantes, font remonter à la surface la soif
de justice sociale, qui est un élément fondamental de la cohésion sociale.
Les conditions de vie des pauvres se sont dégradées. Des millions d’Algériens
vivent au-dessous du seuil de pauvreté et l’appauvrissement des couches
moyennes fait que d’autres millions vivent les drames des fins de mois
difficiles. L’inflation galopante, qui est l’un des cancers de la société,
relance l’érosion du pouvoir d’achat des ménages, dont les plus modestes sont
les plus touchés par la forte hausse des produits de base, au premier rang
desquels figure l’alimentation.
L’augmentation
du coût de la vie, résultat de la dévaluation du dinar et de la flambée des
prix des denrées alimentaires de base par absence de contrôle des prix, réduit
à la misère des millions d’Algériens. Les salaires augmentés sont absorbés par
l’inflation. La pauvreté s’aggrave au point que des femmes et des hommes qui
ont galéré durant des mois à la recherche d’un travail découvrent la faim.
La faim, en 2012, dans un pays qui regorge de richesses, est un anachronisme
difficilement imaginable. Et pourtant ! Il faut mettre fin à ce cauchemar
car l’inquiétude, le découragement, la déception, la frustration, la
souffrance, le désespoir qui habitent les gens épuisent le sens de la vie. De
nombreux Algériens s’immolent par le feu pour exprimer leur désespoir. Les
tensions sociales sont fortes. Les revendications sociales sont autant de
facteurs qui mettent en cause l’échec du pouvoir.
L’inégalité
sociale a fait apparaître une lente et difficile montée des syndicats autonomes
et des revendications qu’ils portent. Les syndicats doivent constituer un front
commun pour se concentrer sur la réalisation de leurs revendications sociales.
C’est l’UGTA qui négocie avec le gouvernement et le patronat, après les grèves
menées par les syndicats autonomes.
Les richesses tirées du sous-sol doivent être réinvesties sur le sol
L’économie est paralysée, c’est la question qui domine toutes les autres
parce qu’elle conditionne toutes les autres. Les trois quinquennats du
Président n’ont pas débouché sur le décollage de l’économie, qui ne peut se
faire qu’avec le concours de l’ensemble des acteurs économiques.
L’industrialisation du pays est un objectif majeur et même prioritaire. La
mauvaise gouvernance n’est plus à évoquer, avec une économie faible et une
situation sociale très tendue.
L’esprit de
rente l’emporte sur l’esprit d’entreprise qui passe par le socle de la
démocratie et de l’Etat de droit. Les hauts dirigeants du pays sont nombreux à
avoir un intérêt financier personnel, voire familial, direct ou indirect, dans
une entreprise ou dans l’économie informelle. C’est le goût du lucre et de la
puissance de l’argent qui a contaminé ces dirigeants qui sortent tous du même
moule : les clans du pouvoir.
Les mœurs rappellent ce qu’écrivait Victor Hugo dans Ruy Blas : «Bon
appétit messieurs ! Ô ministres intègres, conseillers vertueux !
Voilà votre façon de servir, serviteurs qui pillez la maison.»
Le pouvoir
et la corruption ont fait mentir la maxime : «Bien mal acquis ne profite
jamais.» L’Etat est gangrené par la corruption. Il faut faire la lumière sur
les scandales portant sur les malversations dans les contrats publics. Il
existe des pratiques qui couvrent la fuite des capitaux vers l’étranger, de
manière à satisfaire les appétits les plus voraces et les plus égoïstes qui
ruinent le pays. Lorsque les institutions illégitimes de l’Etat, parce que
issues d’élections truquées, servent à des fins politiques, les sentiments de
justice, de légitimité et d’équité sont écartés pour laisser place à
l’impunité.
Ali Yahia Abdenour. Militant des droits de l’homme
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