Vendredi 9 novembre 2012
Laghouat
Comités de
quartier, syndicats, groupes d’insertion... A Laghouat, la population est plus
que jamais mobilisée pour faire changer la société. Et contredire les propos du
ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, qui dénonce le «mutisme» de la
société civile algérienne.
Dans le petit local exigu au cœur du quartier du Mkam, à Laghouat,
s’affairent plusieurs jeunes femmes entre deux machines à coudre, des dizaines
de livres entassés et des sacs de vêtements. Comme l’indique l’écriteau à
l’entrée du magasin, l’atelier de confection et de couture abrite également une
association de protection de la famille. Fadila, la douce et souriante
psychologue, affirme que le local, aussi petit soit-il, a formé beaucoup de
main-d’œuvre. Sourire entendu de la présidente de l’association, Hamida, qui
précise que les activités telles que la couture ou la pâtisserie, facilitent
les échanges entre les femmes de la région de Laghouat. Les membres de
l’association ne se contentent pas de ces rencontres fortuites et vont souvent,
de manière volontaire, vers les femmes. «Nous allons les chercher chez les
coiffeuses, chez les charlatans et on en a même rencontré dans les bus !»,
raconte-t-elle.
Réseau
A 400 kilomètres au sud d’Alger, la société civile s’active. Les récentes
manifestations pacifiques organisées début octobre au centre-ville, suite à des
attributions de logements contestées, ont révélé la vigueur du réseau
associatif local. Et tout le monde se bat pour exister dans des conditions
difficiles. Nacéra, secrétaire générale de l’association, regrette que les
membres ne disposent même pas d’un ordinateur. Souvent, elles profitent du
local de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), comme
beaucoup d’autres associations. Parmi elles, le Comité national de défense des
droits des chômeurs (CNDDC), représenté par Belkacem Khencha. Du haut de ses
deux mètres, drapé dans une gandoura sombre, Belkacem affiche un grand sourire
permanent et une sympathie naturelle. Père de quatre enfants, il vit de petits
boulots. Il y a un an et demi, lassé de sa situation, il décide de se joindre
au CNDDC. «Greffiers, syndicalistes, droit de l’homme, nous soutenons tous ceux
qui en ont besoin, déclare-t-il avec fierté. Nous sommes un maillon chargé de
transmettre les attentes et les besoins de nos semblables aux dirigeants,
autistes.»
Marginalisation
Même si son engagement le pénalise plus qu’il ne l’aide, Belkacem y tient
fermement par «espoir de changement». «Les autorités offrent de régler les
problèmes d’untel ou de favoriser le dossier de demande de logement de tel
autre afin de calmer leur colère et étouffer la contestation», dénonce-t-il
aussi, à l’image de la plupart des militants de la ville qui se disent victimes
de marginalisation, d’intimidation ou de tentative de soudoiement. «Je paye mon
engagement jusqu’à présent», affirme Abbès Beniche, président de l’association
Al Houda du quartier Essadikiya. Actif au sein de la LADDH, le militant dit
avoir essuyé de véritables campagnes de discréditation. Cheikh Mabrouk, président
d’une association du quartier 202, au nord du chef-lieu de wilaya, en parle
sans détour : «Ce qu’on dénonce, c’est la marginalisation, par les autorités,
des associations actives qui ne veulent pas se retrouver sous leur tutelle et
qui ont pour seul objectif de servir le citoyen.» Cheikh Mabrouk, autrefois
imam, est très respecté et écouté par son entourage. D’un ton grave, le regard
soudain sévère, il ajoute : «Les autorités préfèrent traiter avec des
associations qui servent leurs intérêts. Et les mettent en avant à chaque
visite officielle ou événement quelconque. Les problèmes sont nombreux dans
tous les domaines, mais nous ne sommes ni écoutés ni pris en considération.»
Belahcen Ahmed, président d’une association de quartier – les comités de
quartier sont nombreux et très actifs à Laghouat – en sait quelque chose :
«Nous avons multiplié les écrits, avec accusés de réception, nous nous sommes
si souvent déplacés dans les administrations que nous sommes connus de tout le
monde, mais aucune réponse ne nous est jamais parvenue.»
Héros
Mohamed, membre du Syndicat national des chauffeurs de taxi à Laghouat
renchérit : «Pour les autorités, toute protestation est considérée comme du
vandalisme.» Pour lui, il y a quelque temps déjà que ses rapports avec les autorités
se sont dégradés. Fort de 690 membres sur 853 taxis que compte la wilaya, le
syndicat a remporté plusieurs succès, mais de nombreuses revendications restent
sans écho. «Trouver une alternative à l’imposition de fournir un numéro de
moudjahid, qui donne la priorité à certains et exclut d’autres, pouvoir
partager un véhicule entre deux taxis ou encore revoir les tarifs des
assurances», énumère Abdelkader Abiret, président du syndicat. D’autant que les
prix des véhicules, des pièces de rechange et de l’essence augmentent, mais les
tarifs n’ont pas bougé depuis 1999. Soutenus par la population, boudés par les
autorités, associations et syndicats n’en démordent pas et redoublent
d’imagination pour que leurs revendications obtiennent des réponses. Leurs armes
? Internet et les réseaux sociaux. Initié par le syndicaliste et ardent
défenseur des droits de l’homme, Yacine Zaïd, qui a montré la voie avec le
blogging, le reportage amateur ou encore la caméra cachée. Abbès a désormais sa
propre chaîne, YouTube, où les images de ses diverses interventions sont
faciles à trouver. «Internet nous sert à éveiller les consciences»,
assure-t-il.
De l’aveu des militants, l’exemple de Yacine Zaïd aurait servi à dépasser
les réticences et à se défaire de la peur. Arrêté début octobre, condamné à six
mois de prison avec sursis et 10 000 DA d’amende pour «outrage à agent de
l’ordre public», Yacine Zaïd refuse de porter seul la gloire d’une telle
mobilisation : «Les vrais héros sont ces jeunes qui m’ont surpris par leur
organisation, avec une plateforme de revendications, des banderoles et leur
souci de n’être récupérés par aucun parti politique. Ces présumés ‘délinquants’
m’ont donné des leçons de civisme et de courage.» Et d’expliquer que si la
population est aussi active, elle le doit aussi au «passé rebelle de la région
et au caractère indomptable de ses habitants». C’est de Laghouat qu’a démarré
une aventure humanitaire des plus marquantes de ces dernières années : Ness El
Khir. En octobre 2012, Yacine Zaïd a publié une vidéo sur YouTube afin de
dénoncer la situation alarmante d’une dame, El Hadja Rahma, qui vivait dans des
conditions épouvantables à Laghouat. Emus par la vidéo, cinq jeunes hommes ont
lancé une chaîne de solidarité à travers les réseaux sociaux. Ness El Khir était
née. Depuis, un véritable réseau d’entraide s’est créé et Ness El Khir,
désormais, est l’une des associations les plus actives du pays.
Des comités de quartier à la place de l’Etat :
Il marche d’un pas décidé sur l’asphalte qui sépare une petite coopérative
d’habitations coquettes et un ensemble de constructions inachevées. Il balaie
de la main le côté gauche de la rue en déclarant : «Ce côté-là, c’est mon
quartier.» Ahmed Rouibi est le président de ce quartier, le «144». Le charment
lotissement semble narguer les constructions en briques apparentes. Vision
désolante.
Les nombreuses démarches d’Ahmed, qui insiste pour que soit constaté l’état
de délabrement du quartier, restent sans réponse. L’abandon touche jusqu’à
l’école primaire, qui est en piteux état. Tout près se trouve le quartier El
Qods, dont Ahmed Belahcen défend les intérêts en tant que président
d’association. Entre ses heures de travail et ses responsabilités de chef de
famille, l’employé de la Protection civile multiplie les déplacements et noie
les administrations de courriers recommandés.
Ses requêtes portent sur l’éclairage – installé en 2006 ne fonctionne que
partiellement – ou la création d’un cimetière. «Se peut-il qu’en 2012, on
puisse encore autant galérer pour demander un cimetière ?», s’étonne-t-il. Mais
Ahmed Belahcen n’est visiblement pas homme à se laisser faire : «On
procrastine, on nous promène de département en département, mais nous
continuons à fournir des efforts au nom de ce pays».
De l’autre côté de la ville, se trouve Essadiquiya, le quartier dont
s’occupe Abbès. Dès l’arrivée, l’état de la route, affaissée par endroits,
surprend. Son état a obligé les autorités à fermer une des voies. Abbès signale
qu’une voiture s’est coincée dans un affaissement en temps de pluie mais «que
rien n’a été fait depuis».
Témoin du laisser-aller des autorités locales, un arbuste a poussé à cet
endroit depuis. Pour le président du comité de quartier, cela ne fait aucun
doute, «si autant d’associations de quartier ont vu le jour, c’est pour
compenser l’absence des autorités et leur refus de recevoir les citoyens».
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