Mardi 12 novembre 2013
La surveillance par géolocalisation est devenue un moyen habituel
d’enquête tant pour rechercher les auteurs d’un crime ou d’un délit que
pour surveiller les faits et gestes de délinquants potentiels. Ce
procédé serait utilisé dans plus des deux tiers des enquêtes. Mais la
récré est finie, les policiers et les gendarmes devront accepter des
pratiques plus encadrées. Cela fait grincer des dents, mais il n’y a pas
le choix : la Cour de cassation vient de siffler la fin de la partie.
Le 22 octobre 2013, elle a rendu deux arrêts qui soulignent que ces
pratiques constituent des atteintes à la vie privée : « La
géolocalisation et le suivi dynamique en temps réel d'une ligne
téléphonique à l'insu de son utilisateur constituent une ingérence dans
la vie privée et familiale qui n'est compatible avec les exigences de
l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qu'à la
condition d'être prévue par une loi suffisamment claire et précise. »
 |
|
Affiche de la comédie de Georges Feydeau
(Lycée de l'Image et du son d'Angoulême)
|
Or, si la loi de 2004 sur la criminalité
organisée a donné de larges possibilités d’investigations et de
surveillances techniques (écoutes, sonorisations, mouchards…), elle est
restée muette sur la géolocalisation. En fait, jusqu’à ce jour, les
enquêteurs ne voyaient guère de différence entre une surveillance
technique et une surveillance de visu, alors que la technologie actuelle
permet de visionner, d’enregistrer et d’analyser chacun de nos
déplacements. Bien loin de la filoche de papa ou de cette photo prise à
la volée derrière la glace sans tain d’un « soum » ! Et de même pour les
juges qui généralement ne considéraient pas la surveillance comme un
acte de police judiciaire. La jurisprudence y voyait plutôt une simple
pratique de police administrative (sur ce blog,
Les limites de l’enquête proactive).
Si l’on voulait définir la
géolocalisation, on pourrait dire que c’est un ensemble de moyens
techniques qui permet de situer sur une carte un signal radioélectrique.
Ce n’est en fait que l’application moderne de la radiogoniométrie,
laquelle est basée sur les propriétés de la propagation des ondes
électriques et sur la directivité des antennes. Un procédé vieux comme
la radio, utilisé par exemple par les troupes d'occupation pour
localiser les émetteurs clandestins des résistants. Ou, il n'y a pas si
longtemps, par les services techniques de la DST qui exploitaient des
stations gonios réparties sur le territoire pour repérer d’éventuelles
émissions effectuées par des agents d’une puissance étrangère. Une
activité que j'ai pratiquée durant quelques années - sans jamais trouver
le moindre espion.
Deux événements relativement récents ont
fait entrer la radiogoniométrie dans le domaine de l’obsolescence :
l’apparition des satellites et le quadrillage du territoire

par des milliers d’antennes GSM. Or, si le
fait de placer une balise sous un véhicule est très proche de la
surveillance physique, il en va différemment de « l’intrusion » dans
un objet aussi personnel que peut l’être le téléphone portable. Car cette
technique permet non seulement de suivre les déplacements d’un individu en
direct mais encore de remonter dans le temps. Pour un enquêteur, il faut
reconnaître que c’est pain bénit.
Ces deux arrêts de la Cour de cassation ne visent
que le traçage du téléphone, mais, dès 2010, la Cour européenne des droits de
l’homme a estimé qu’il en était de même pour une surveillance effectuée à
l’aide d’une balise GPS (
aff. Uzun c/ Allemagne).
Cependant, elle n’a pas fermé la porte à ces techniques de localisation, elle a
juste indiqué le mode d’emploi.
Les faits visaient un ressortissant
allemand, soupçonné d’avoir participé à des actes terroristes. Lors
d’une enquête au long cours, il avait fait l’objet de nombreuses
surveillances visuelles et filmées et d’écoutes téléphoniques avant et
après l’ouverture d’une instruction judiciaire. Mais, pendant trois
mois, les enquêteurs de l’office fédéral de la police judiciaire avaient
installé, avec l’accord du procureur général, une balise GPS dans le
véhicule de l’un de ses amis. Finalement, avec des circonvolutions de
langage, la Cour a reconnu que cette surveillance ne violait pas
l’article 8, dans la mesure où les infractions reprochées étaient
particulièrement graves et que la loi prévoyait la possibilité d’une
surveillance « technique ». En effet, lors de cette enquête, en 1995, le
code de procédure pénale allemand prévoyait déjà expressément que les
surveillances pouvaient se faire à l’aide de photos, de films et si besoin en faisant appel à d’autres moyens techniques spéciaux de surveillance ou de localisation (art. 100c).
Ce qui nous montre combien le droit français est à la traîne...
 |
Extrait brevet pour
téléphones cellulaires
|
Somme toute, la Cour de cassation ne
fait rien d’autre que de demander au gouvernement de légiférer. Et il
n’est pas exclu qu’un texte bien formulé, qui pointe les différentes
techniques, puisse laisser au procureur l’initiative d’une telle
surveillance – du moins lorsqu’elle est effectuée en direct. Il
me semble en effet qu’il faut faire une distinction entre
l’enregistrement et l’analyse a posteriori d’informations concernant les
déplacements d’une personne et un simple outil de surveillance
comparable à une bonne paire de jumelles.
Plusieurs syndicats de police
et un syndicat de la magistrature ont réagi. Ils soulignent l’urgence
d’une loi, car, pour l’instant, la situation est bloquée. Et il y a même
des risques d’annulation de procédures antérieures, comme on a pu le
voir après la réforme tardive de la garde à vue. Ils ont d’ailleurs
sollicité en ce sens le président de la commission des lois de
l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas. Mais de toute façon, il
faudra que les policiers et les gendarmes modifient leurs méthodes
d’investigation, car si demain le code de procédure pénale prévoit
expressément la géolocalisation, ce ne sera probablement que pour les
affaires les plus graves.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire