lundi 17 décembre 2012
Et l’acte que
j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la
vérité et de la justice. Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de
l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation
enflammée n’est que le cri de mon âme.
Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand
jour !»
«J’accuse»,
lettre adressée au président de la République par Emile Zola, parue dans le
journal l’Aurore le 13 janvier 1898.
Tébessa, un siècle et quelques années plus tard Beliardouh est mort. Il a
mis fin à ses jours. Un certain 20 novembre 2002, mois où les journées
devenaient froides et courtes. Et pourtant, il aimait la vie. Libraire,
puis journaliste, Beliardouh avait pour passion la peinture et les couleurs. Il
trouvait dans le beau la sensibilité de l’âme et l’escapade de l’esprit.
Garboussi est commerçant. Chiffonnier de son état, il devient président de la
Chambre de commerce des wilayas de Tébessa et Souk Ahras. Il est analphabète.
Garboussi aimait peindre la violence sur le visage de ses victimes. Il en
tire l’un des moyens de sa puissance. Tout sépare les deux hommes. Un article
de presse les rapproche. Beliardouh en est l’auteur. L’article, paru le 22
juillet 2002 dans El Watan, porte en effet sur Garboussi et ses liens avec le
terrorisme et le blanchiment d’argent.
Le puissant enlève et séquestre le journaliste
De force, il l’embarque dans une voiture verte appartenant à l’administration
de la Chambre de commerce et le conduit directement à son bureau.
La scène de l’enlèvement se déroule en plein centre-ville. Ceux qui osent
intervenir sont insultés et menacés. Garboussi sait faire usage du langage
phallocratique pour éloigner et menacer ceux qui osent se mêler de ses
affaires.
Séquestrée à l’intérieur du bureau de Garboussi, la victime est soumise à un
interrogatoire musclé afin de l’obliger à dévoiler sa source. Violences et
sévices sont alors exercés sur le corps frêle de Beliardouh. Le purgatoire se
termine par l’irréparable. Une agression... corporelle est administrée à la
victime par l’un des bourreaux de Garboussi. Le journaliste est ensuite
embarqué dans la Mercedes de Garboussi pour être exposé, dans les différentes
places de la ville, comme un trophée. Durant le trajet, le séquestré est livré
à un ancien policier spécialiste des techniques de l’interrogatoire.
Le calvaire de Beliardouh se termine quelques heures après son enlèvement.
Souillé, humilié, terrorisé et meurtri, le journaliste fait déménager sa
famille et se terre au domicile de son père.
La vie du peintre vient de basculer. Il n’avait plus pour tableau que sa propre
tragédie.
La pénombre des lieux de l’interrogatoire devient alors la seule lumière de ses
derniers jours. Beliardouh par son geste a purifié son corps de la souillure de
Garboussi, de la blessure de la violence et du déshonneur de l’humiliation.
Garboussi est encore en vie
La justice institutionnelle, séquestrée par dix années de procédure, vient
d’anoblir le puissant par un acquittement dont ont profité également ses
sbires. Un procès bâti sur un dossier duquel un enlèvement de pièces
importantes de procédure a été organisé et dans lequel ont été subornés des
témoins et retournés d’autres. La justice officielle a reculé devant la justice
privée du puissant.
Durant l’enquête préliminaire, Garboussi et ses sbires ne sont pas mis en garde
à vue, alors que les faits revêtent un caractère criminel puisqu’il s’agissait
d’enlèvement et de séquestration. La déposition de Beliardouh est accompagnée
d’une fiche de police réservée aux suspects et mis en cause.Le rapport
préliminaire transforme par un euphémisme pernicieux la souillure en une
agression corporelle. L’information judiciaire révèle quant à elle ses lacunes et
insuffisances.
Des témoins à décharge sont auditionnés 14 mois après les faits. On y
retrouve le fameux policier qui en plus de son témoignage signale que la
victime est connue des services de police. Faisant fi de cette violation du
secret professionnel, le juge instructeur a consigné cette divulgation dans le
procès-verbal d’audition.
Ou cet autre témoin qui soutient sans vergogne ni honte que Beliardouh lui a
demandé de témoigner contre Garboussi. Il sait que les morts ne parlent pas. À
ces carences vint s’ajouter la forfaiture consistant en la disparition de
documents accablants pour Garboussi et ses hommes.
Pour suppléer cette disparition, on auditionne de nouveau un témoin à charge
tout en demandant la copie du rapport préliminaire qui conclut à la véracité
des faits d’enlèvement et de séquestration.
La copie, de surcroît illisible, est injectée dans le dossier de la procédure
le 12 novembre 2012 , alors que l’information est clôturée par l’arrêt de
renvoi du 11 mars 2009.
La liste des pièces ainsi que le dossier de la procédure en la forme qui
renferme les constitutions, convocations et mémoires ont disparu à jamais. La
Cour suprême avait rejeté par un arrêt du 12 novembre 2003 la demande de renvoi
de l’affaire devant une autre juridiction pour une bonne administration de la
justice.
Les parties civiles redoutaient et à juste titre les pressions et
manipulations susceptibles exercées sur l’environnement judiciaire par le
puissant Garboussi. C’est à travers ce funeste et lugubre tableau des faits et
de la procédure que la cause, expurgée de ses preuves et charges, est véhiculée
comme le fut feu Beliardouh, vers un simulacre de procès où les magouilles des
uns et le reniement des autres en ont constitué les derniers coups de pinceau
de cette tragédie de justice. Beliardouh aimait quant à lui la vraie
peinture. Celle des couleurs de la vie, des lumières de l’espoir et des vertus
de l’humanisme.
L’affaire devant la Cour suprême :
Le procureur général près la cour de Tébessa a introduit, apprend-on de sources
sûres, un pourvoi en cassation au lendemain du prononcé du verdict,
c’est-à-dire mercredi 12 décembre, contre le jugement d’acquittement des quatre
accusés.
De leur côté, les parties civiles, aussi bien El Watan que les héritiers
Beliardouh, en ont fait de même hier. La Cour suprême aura donc à examiner ces
pourvois et à statuer sur les moyens qui seront soulevés en leur temps.
A. B.
Une commission à la cour de Tébessa :
Une commission a été dépêchée hier par le ministère de la Justice à la cour
de Tébessa, apprend-on de sources sûres. Si certaines sources parlent d’une
commission d’inspection ordinaire, d’autres laissent entendre qu’il s’agirait
d’une commission d’enquête chargée d’examiner les tenants et les aboutissants
de l’affaire opposant les ayants droit de Beliardouh et El Watan à Saâd
Garboussi et consorts, affaire qui a défrayé la chronique et qui n’en continue
pas moins de le faire. Lakehal
Samir
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire