De notre envoyé spécial
Pour le gîte, la solidarité s’est organisée à leur arrivée, la veille au soir. Chaque chômeur de Laghouat a pris en charge un ou deux camarades d’infortune.
Massés sur le trottoir en face du tribunal, banderoles et emblème national déployés, ils crient leur rejet de l’exclusion et de l’injustice sous toutes ses formes. Ils revendiquent principalement leur droit inaliénable à un emploi, mais aussi l’arrêt des brutalités policières et des arrestations qu’ils n’arrêtent pas de subir. Hier matin, donc, ils tenaient un sit-in de soutien à l’heure où leurs camarades étaient appelés à la barre.
Diplômes brulés
Les contrôles policiers à l’entrée du palais de justice sont stricts et rigoureux. La présence d’un journaliste d’El Watan est franchement indésirable. L’accès nous est refusé aux grilles du palais, une première fois, puis à l’entrée de la salle d’audience par des agents particulièrement zélés. Il a fallu parlementer longtemps et surtout se montrer ferme en demandant aux policiers d’assumer la responsabilité d’un refus injustifié pour qu’on daigne enfin nous accorder le fameux sésame.
A l’intérieur de la salle d’audience, ils sont 23 prévenus à s’entendre dire par le juge qu’ils sont accusés «d’attroupement, d’incitation à attroupement et de destruction de bien d’autrui». En fait de destruction, il s’agit du démantèlement de la grille en fer forgé de l’Agence nationale pour l’emploi (ANEM).
Les policiers, comme à leur habitude, oserions-nous dire, chargent les protestataires à coups de matraque, de coups de poing et de pied.
On arrête également à tour de bras. Selon des témoignages que nous avons recueillis auprès des concernés, les brutalités se sont poursuivies au commissariat de la ville. Pis encore, aucun des citoyens brutalisés ne pourra se faire établir de certificat médical, même ceux qui seront conduits plus tard à l’hôpital. Pour aller jusqu’au bout de l’arbitraire, le médecin légiste, habilité à faire les constats de brutalités physiques et à fournir des certificats médicaux, est poussé à prendre un congé.
Pour le procureur de la République, aucun des prévenus n’a témoigné avoir subi des violences physiques. Les procès-verbaux qu’ils ont signés dans le commissariat de police ne mentionnent nullement les brutalités… policières. «Amn dhalem, sidi errais !», «une police injuste Monsieur le président !», criera l’un des prévenus à l’adresse du juge.
A l’issue de l’audience des prévenus, qui aura duré un peu plus de quatre heures, c’est le procureur qui crée la surprise en demandant des peines de cinq ans à une année de prison ferme.
Rendez-vous demain à … Hassi Messaoud
Les prévenus ont reçu le soutien du bureau local de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH) qui a mis à leur disposition des avocats venus des quatre coins du pays. Présent à l’audience, Yacine Zaïd, figure emblématique des luttes syndicales et des droits de l’homme, n’a cessé de déployer des efforts depuis des jours et des semaines pour porter assistance aux prévenus.
Les avocats montent au front les uns après les autres pour démonter les accusations pièce par pièce. Les plaidoiries sont souvent brillantes et passionnées. «De statut de victimes de l’administration et de l’injustice sociale, ces hommes qui n’ont fait que réclamer un droit garanti par la Constitution se retrouvent au banc des accusés», dira l’un des avocats.
Selon maître Ahmim Noureddine, avocat de la partie civile, ce procès comporte deux aberrations. Pour les deux groupes de prévenus, ceux qui sont toujours détenus et ceux qui comparaissaient librement, le procureur a requis des peines d’emprisonnement de cinq ans de prison ferme pour le premier groupe et d’une année de prison ferme pour le deuxième.
Aujourd’hui, un autre groupe de 19 chômeurs comparaît devant le juge à Hassi Messaoud. Ainsi donc, au moment où les scandales de corruption au sein de Sonatrach montrent comment des milliards de dollars partent en pots-de-vin, la justice accuse les chômeurs du Sud d’avoir réclamé du travail. Ironie du sort, eux qui ont vu toutes les portes se fermer devant eux se retrouvent accusés d’en avoir forcé une...
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