jeudi 28 février 2013
Le premier président-directeur général de la compagnie
nationale des hydrocarbures et ex-ministre de l’Energie et de la Pétrochimie,
Sid Ahmed Ghozali, a commenté récemment la situation qui prévaut actuellement
au sein de Sonatrach, empêtrée dans des scandales de corruption. Il considère
que si la firme était jadis imperméable à la corruption, celle-ci se pratique
de manière industrielle depuis une décennie.
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Sid Ahmed Ghozali, ancien PDG de
Sonatrach et ancien chef du gouvernement.
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L’ex-chef de gouvernement pointe ainsi du doigt
l’aveuglement du pouvoir politique assis sur la rente et qui a dévoyé la
problématique énergétique. Celui-ci critique surtout l’impunité qui prévaut
actuellement des responsables auxquels aucun bilan n’est demandé, estimant
aussi que les procès menés jusque-là ne concernent que des boucs émissaires destinés
à montrer à la population que le pouvoir politique s’évertue à lutter contre la
corruption. Pour lui, le problème n’est pas un problème de personnes, mais
c’est le système qui est mauvais.
- Entachée par des scandales de
corruption et enregistrant des contre-performances, Sonatrach, jadis fleuron de
l’économie algérienne, a aujourd’hui un genou à terre. Comment expliquez-vous
qu’on en soit arrivés à cette situation ?
Si seulement ce n’était qu’un genou qui était à
terre. Bouteflika n’a fait qu’achever la bête, qui était déjà à terre.
Sonatrach était jadis connu à l’étranger comme étant impénétrable à la
corruption. A partir du moment où on a laissé la corruption pénétrer au sein de
Sonatrach, l’entreprise était finie. Mais depuis douze ou treize années, la
corruption se pratique à l’échelle industrielle. Je voudrais aussi rappeler que
lorsque j’étais à Sonatrach, j’avais un Etat derrière moi. Ce n’était pas de la
paranoïa. Quand je négociais, je sentais que je représentais quelque chose et
que ma parole avait un sens. Le pouvoir ne me regardait pas comme une future
bête à sacrifier. Qu’allez-vous demander aux cadres de Sonatrach quand ils se
savent exposés ? Ils ne vont pas tout donner pour servir Sonatrach. Les plus
forts vont résister à la tentation et les plus courants diront pourquoi pas…
Il ne faut oublier qu’il y a eu une véritable
chasse aux sorcières à Sonatrach et des centaines de cadres ont été chassés.
Des centaines d’Algériens formés par l’Algérie et par Sonatrach ont rejoint les
compagnies étrangères et les pays du Golfe. Ces cadres ne sont pas partis, ils
ont été chassés. Le premier exode massif de cadres date d’avant le terrorisme.
C’est peut être voulu…
- Voulu, dans quel objectif ?
C’est peut-être dans l’objectif de convaincre les
gens qu’il vaudrait mieux brader tout cela. Qu’il vaut mieux avoir des sociétés
étrangères propres que des sociétés publiques qui n’évoluent pas ! Peut-être
qu’il y a des calculs de ce genre. C’est ce qu’on a fait d’ailleurs pour
beaucoup d’entreprises publiques. On les a mises dans un tel état que même les
plus attachés au secteur public ont voulu les privatiser.
Il ne faut pas oublier que Sonatrach fait partie
de ce qu’on appelle les sociétés missionnaires. Elle a été créée pour exploiter
les gisements pour le compte d’une nation. C’est une société pétrolière
nationale. Cela n’a pas toujours plu aux sociétés pétrolières de l’autorité
coloniale qui comptaient prolonger leur empire pétrolier. L’idée n’a pas
complètement disparu. Cela un pouvoir aveugle ne le voit peut-être pas. C’est
comme quand on oriente les Algériens vers des pays comme la Syrie alors que le
Mali nous concerne beaucoup plus. C’est notre intégrité territoriale qui est en
cause. Je n’ai vu aucune analyse rappelant qu’il y a eu un projet officiel pour
diviser l’Algérie et que la guerre d’Algérie a duré deux ans de plus pour
l’intégrité territoriale. Qui dit quels sont les plans prévus aujourd’hui dans
les officines occidentales. Et le seul moyen pour nous de nous défendre est de
reconquérir notre territoire et de le développer. L’abandon de la politique
d’équilibre régional fait que c’est nous-mêmes qui exposons notre pays. Car le
pouvoir n’est pas hanté par le présent et l’avenir de ce pays. La question de
la politique politicienne a pris trop de place.
- A la lecture des discours développés
récemment, on comprend que le pouvoir politique actuel est à la recherche de
ressources dans le seul objectif de garantir la rente et de s’assurer le
maintien. Qu’en pensez-vous ?
C’est une fuite en avant. La profondeur de la
pensée stratégique se résume ainsi, pourvu que ça dure. C’est une politique de
l’autruche. On veut faire durer le pétrole le plus longtemps possible. C’est
non pas une politique d’aménagement et de préparation du pays, mais c’est une
problématique du pouvoir. Le pouvoir cherche à se pérenniser. Or, on sait
comment il agit. En faisant du social grâce à l’argent du pétrole. 80% du
budget de l’Etat vient de la fiscalité dans la mesure où c’est une société qui
vit grâce à la richesse qu’elle ne produit pas. Le pouvoir n’est pas obnubilé
par l’avenir du pays. Il rattache toutes les problématiques à celle du pouvoir.
Ailleurs, les pouvoirs cherchent à se maintenir pour mettre en œuvre un projet
politique. Chez nous, le pouvoir cherche à «se maintenir pour se maintenir». Le
but lors de la création de Sonatrach était au départ de se passer de Sonatrach.
Cela est un objectif de développement. Je ne suis pas de ceux qui disent que le
pétrole est une malédiction. Ce sont ceux qui ont été incapables d’utiliser le
pétrole qui disent ça pour cacher leur incurie. La problématique pétrolière
chez nous a été complètement défigurée et dévoyée par le pouvoir politique.
- Pourquoi les politiques menées jusqu’à
aujourd’hui ont-elles échoué, selon vous ? Est-ce un problème de gouvernance ?
Je reviens au problème institutionnel que nous
n’avons pas réussi à résoudre. Tout le monde parle de gouvernance. Mais il faut
savoir que l’art de la gouvernance c’est l’art de faire produire à une société
le maximum de ses capacités créatrices. Or, il ne peut pas y avoir de bonne
gouvernance dans un pays où les institutions commettent trois péchés capitaux.
Primo, une société marche avec des hommes. Secundo, une société ne peut
survivre si elle ne respecte pas les règles et donc sans Etat de droit. Et
enfin, le troisième péché capital est l’impunité. L’Algérie est un pays qui ne
fait aucun bilan. Et lorsqu’un responsable sait qu’il n’aura pas à répondre de
ses décisions, il ne va pas forcément réfléchir avant d’en prendre une. Quand
on gouverne, on peut prendre une mauvaise décision, une ou deux fois. Mais
qu’on prenne de mauvaises décisions durant des décennies, les situations
deviennent très compliquées.
Quand je parle d’impunité, cela n’a rien avoir
avec les procès menés. Dans ce pays, tous les 5 ou 6 années, il y a une
charrette de lampistes qui passent en jugement afin de montrer à la population
qu’on s’occupe de la corruption. Quand on voit une charrette comme ça, on peut
être sûr que 80% des personnes jugées sont innocentes, mais on veut désigner
des boucs émissaires. Les dossiers qui sont montés sont faits pour montrer le
bout de la fenêtre et cacher le reste. Le résultat est qu’au fur et à mesure
que le temps passe, de moins en moins de cadres ont confiance en l’Etat. Et
l’Etat se prive donc de serviteurs, puisque tout le monde arrive à la
conclusion que ce qui est dangereux dans un pays normal, c’est-à-dire tremper
dans la corruption, ne l’est pas en Algérie. C’est bien au contraire
l’intégrité qui est dangereuse pour un cadre en Algérie. Ce qui augmente
l’incompétence des preneurs de décisions.
Pour avoir une bonne gouvernance, il faut mettre
en place les outils garantissant l’adhésion des populations. Il s’agit en
premier lieu d’une justice indépendante et efficace, de garantir la sécurité à
la population et d’un système fiscal performant. Notre système de
fonctionnement des institutions est mauvais. Ce n’est pas un problème de
personnes. C’est le système qui est mauvais. A chaque fois que nous orientons
le débat vers des personnes, cela voudra dire que nous sommes sur le mauvais
chemin.
Melissa Roumadi/El Watan
LEMATINDZ
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