Dimanche 29 septembre 2013
Après avoir inventé le concept d'infiltrés, pour enlever aux Syriens
avides de liberté leur appartenance à la communauté nationale, et après
avoir qualifié les opposants ayant pris les armes pour assurer leur
légitime défense de gangs armés, de terroristes et de
takfiris,
la propagande du régime syrien a inventé, à la fin de l'année 2012, un
nouveau concept. Rendu public pour la première fois sur
la chaîne de télévision libanaise Al-Jadid -
totalement inféodée à Damas comme le montre la présence à la tête de
son service politique de la journaliste Maria Maalouf -, et
immédiatement repris par
certains médias favorables au pouvoir en place à Damas, ce nouveau concept était destiné comme les autres à heurter et paralyser les opinions publiques occidentales.

Il permettait d'imputer des comportements choquants aux combattants dont l'armée, les moukhabarat et les chabbihas de l'Armée populaire syrienne ne parvenaient pas à avoir raison. Il autorisait en effet les djihadistes
en manque de relations sexuelles du fait de l'éloignement de leurs
familles, à conclure des "mariages temporaires", qui devaient être de
courte durée de manière à permettre à tous d'assouvir leurs besoins. Les
"épouses temporaires" devaient évidemment avoir plus de 14 ans, être
veuves ou répudiées. Les femmes volontaires pour ce djihad d'un genre jusqu'ici inconnu dans l'islam pourraient revendiquer le titre de moudjahidât,
et si elles décédaient pour une raison ou une autre, elles auraient,
comme tous les combattants de la guerre sainte, immédiatement accès au
Paradis.
Pour lui donner du crédit, cette idée était imputée à un
cheikh saoudien
ultra-conservateur, un certain Mohammed al-Arifi dont le nom n'avait
pas été choisi par hasard. L'intéressé s'était fait remarquer par la
promulgation d'avis juridiques montrant un rigorisme radical et un
mépris certain pour les femmes.
Le cheikh a immédiatement nié ce qu'il était censé avoir diffusé sur les réseaux sociaux...
mais qui ne figurait nulle part sur sa page internet. Il a expliqué
qu'un imposteur avait utilisé son compte twitter, où il comptait plus de
3 millions de
followers, pour lui imputer ce qu'il n'avait
jamais dit. La taille du twitt, composé de plus de 180 caractères,
suffisait à démontrer qu'il s'agissait d'une forgerie. Il n'aurait pu
d'ailleurs formuler un tel avis, qui prenait le contre-pied de deux
conditions incontournables de la
chari'a concernant le mariage : la présence d'un
wali,
un tuteur, lors de la de conclusion du contrat, puisque la femme en
islam n'est pas invitée à donner directement son consentement, qui est
formulé par l'un de ses proches ; et la
'idda,
le délai de viduité de 3 à 4 mois qui
permet de s'assurer que la femme répudiée n'est pas enceinte, de
manière à ne pas avoir de doute sur l'identité du géniteur de son futur
enfant et à permettre à ce dernier d'obtenir sa part d'héritage de son
père.
L'affaire a continué malgré tout à faire grand bruit, au point de contraindre le
cheikh à
s'expliquer à la télévision, au mois d'avril 2013, sur ce qu'il n'avait jamais dit. Sa paternité de la
fatwa
n'est plus aujourd'hui mise en avant et la plupart des journaux arabes
qui continuent d'évoquer cette question parlent désormais d'une "
fatwa
d'origine inconnue". La majorité d'entre eux n'arrivent pourtant pas à
accepter le fait qu'elle n'a tout simplement jamais existé. A défaut
d'avoir suscité des vocations de
moudjahidât, elle aura au moins fait vendre beaucoup de papier…
Deux développements ont redonné depuis peu de l'actualité à cette affaire. L'un en provenance de Tunis. L'autre depuis la Syrie.
Initié par cet avis juridique désormais anonyme, un mouvement d'importation en Syrie de candidates tunisiennes à ce genre de
djihad ne se serait jamais interrompu. En mars 2013, le quotidien saoudien
Al Hayat
rapportait que, répondant à cet appel de leur plein gré ou sous la
pression de leurs proches, au moins 13 jeunes tunisiennes s'étaient
rendues en Syrie pour y fournir des "services sexuels" aux
djihadistes.
Une vidéo contenant un témoignage mais ne présentant aucun début d'élément de preuve venait aussitôt confirmer la chose. Repris à satiété sur les réseaux sociaux,
d'autres témoignages continuaient à accréditer cette histoire.
Le 20 septembre, le ministre tunisien de l'Intérieur Loutfi Ben Jeddo
affirmait devant les membres de l'Assemblée constituante que des
Tunisiennes continuaient de se rendre en Syrie pour y pratiquer le "
djihad al-nikah".
Il ne fournissait aucun chiffre, mais son silence ouvrait la porte à
toutes les supputations. Certains médias parlaient aussitôt de dizaines,
d'autres de centaines de femmes parties dans ces conditions. Certains
utilisaient ces chiffres au conditionnel. D'autres les retenaient sans
hésitation, en recourant au présent de l'indicatif…
Le problème est qu'aucun témoignage
crédible n'a jamais confirmé, ni avant, ni après, les propos du
ministre. Il est vrai que des Tunisiens sont partis, certains disent par
centaines, d'autres affirment par milliers, prêter main forte à leurs
frères Syriens, en choisissant généralement de combattre dans les rangs
d'unités islamistes, si ce n'est de djihadistes, les uns par
convictions personnelle, les autres par souci d'efficacité. Mais ce
n'est pas parce que leur présence en Syrie est devenue un problème
intérieur et extérieur pour les autorités tunisiennes, que ces dernières
doivent prêter leur concours à une propagande dont on sait désormais
depuis des mois qu'elle ne repose sur rien. Puisqu'elles semblent
trouver du plaisir à se livrer à cette publicité qui ne sert pas
précisément leur pays, elles pourraient peut-être expliquer aussi
pourquoi la Tunisie serait le seul et unique pays arabe du Maghreb et du
Machreq frappé par cette épidémie ?
En Syrie même, le "
djihad du
mariage" a régulièrement fait l'objet de campagne de dénonciation sur
les chaînes officielles. Elles ont produit elles aussi, pour illustrer
ce phénomène, des témoignages, tantôt de
"terroristes" capturés qui avouaient avoir contraint leurs femmes à se prostituer dans ces conditions, tantôt de
femmes victimes de ce genre d'esclavage sexuel.
Mais, en raison du manque de crédibilité de ces témoins et de la
faiblesse de leurs témoignages, leurs récits n'ont pas convaincu grand
monde, y compris dans les rangs des partisans du régime auxquels ils
étaient en priorité destinés. Dans l'espoir de frapper un grand coup,
les autorités syriennes ont alors préparé avec plus de soin l'apparition
sur les écrans de la chaîne officielle
Al-Ikhbariya, le 22 septembre, d'
une jeune fille de 16 ans, qui répondait au nom de Rawan Qaddah.
Elles espéraient que son témoignage, appris par cœur et débité à vive
allure sans épargner aux auditeurs un seul détail scabreux, ferait
définitivement pencher les sceptiques de leur côté. Encore une fois,
elles ont obtenu un résultat contraire.
Dans les rangs des partisans du pouvoir,
qui ne sont pas moins conservateurs qu'une majorité de ses opposants,
beaucoup ont été choqués de voir une si jeune fille exposée aux regards
pour faire état des agissements éminemment répréhensibles dont elle
avait été victime, sans que les réalisateurs de l'émission ait pris la
peine de dissimuler ou de flouter son visage. Ils ont également été
offusqués des détails qu'elle a donnés concernant ce que son père
l'avait contrainte de faire avec un djihadiste, puis avec plusieurs, avant d'abuser d'elle à son tour au nom du "djihad
du mariage". Ils ont enfin été surpris de la voir apparaître sur leurs
écrans en habits d'hiver, alors que la température, à Damas, oscille
encore en cette saison entre 25 et 30°.
Les activistes n'ont eu aucun mal à
démontrer que la jeune fille n'avait été que la vedette involontaire
d'un show scabreux, dont l'objectif était destiné à dénigrer les
révolutionnaires en général, à travers les moudjahidin accusés
de s'adonner à des relations sexuelles contraintes avec des jeunes
femmes et des jeunes filles parfois mineures. Ils ont établi que celle
qui répondait effectivement au nom de Rawan Qaddah - un nom extrêmement
connu dans son gouvernorat d'origine, d'où sont issus aussi bien
Souleiman Qaddah, un ancien secrétaire général adjoint du Parti Baath,
que l'homme d'affaire Mouwaffaq Qaddah, enrichi à Doubaï dans le
commerce des pièces détachées pour voitures - et qu'elle était native
du village de Nawa. Ils ont expliqué son apparition dans des habits
d'hiver par le fait qu'elle avait été enlevée sur le chemin de son
école, plusieurs mois plus tôt, par des éléments de la Sécurité
militaire. Sa mise en avant était destinée à porter atteinte à la
réputation de son père, chef respecté d'une katiba de l'Armée Syrienne Libre active dans la région, qui avait été accusé à tort d'appartenir au Jabhat al-Nusra et à al-Qaïda.
Ils n'ont pas eu davantage de difficulté à relever
les nombreux détails qui confirmaient que la jeune fille récitait l'histoire qu'elle avait été contrainte de mémoriser, sans
en modifier un seul mot : elle parlait du début à la fin d'une voix
monocorde et mécanique ; elle n'affichait aucun sentiment de honte, de
tristesse ou de colère, même en mentionnant les humiliations et les
agissements les plus dégradants qui lui avaient été imposés ; elle ne
cessait, durant tout le récit de sa mésaventure, de baisser les yeux
comme pour s'assurer qu'elle ne s'écartait pas de son texte ; elle
paraissait vouloir accabler son père, dont elle avait a plusieurs
reprises souligné le rôle et elle avait mentionné son comportement
infamant à son égard sans montrer la moindre gêne ; elle se contredisait
- mais la faute en revenait au rédacteur du scénario à la télévision
syrienne, auquel sa volonté de charger le père avait fait perdre sa
lucidité - en indiquant que celui-ci se faisait payer pour les passes
qu'il contraignait sa fille à subir…
Devant le scandale provoqué par ces
affaires, l'Armée syrienne libre et la Coalition nationale syrienne ont
réagi. Même le Jabhat al-Nusra y est allé de son communiqué. Tous ont
affirmé que le "djihad al-nikah", qui était contraire aux
législations divines et humaines n'avait jamais existé en Syrie et que
les prétendues victimes, tunisiennes ou syriennes, dont les témoignages
avaient été colportés par les médias du régime - y compris celui de la
jeune Rawan Qaddah - n'avaient été que les comparses plus ou moins
consentantes d'une machination contre eux qui les dépassaient. Dans un
communiqué diffusé le 25 septembre,
la
Coalition Nationale Syrienne demande avec force et vigueur que ne
soient pas relayés les mensonges qui ont trait à ce que la propagande du
régime d’al-Assad a appelé le "djihad sexuel".
Il
va sans dire que si de telles pratiques existaient, la Coalition ne
manquerait pas de condamner ces actes. Mais dans le cas présent, il ne
s’agit pas de dénoncer une sur-médiatisation de phénomènes qui existent,
mais qui, limités et marginaux, ne rendent pas compte des initiatives
et des valeurs de l’écrasante majorité des activistes syriens. Il ne
s’agit pas non plus de dénoncer une mise sous silence des crimes de
masses planifiés du régime pour s’attarder sur quelques actes condamnés
par l’opposition elle-même.
Non, il est ici question de condamner le mensonge sur un phénomène qui n’existe tout simplement pas.
Le "djihad
sexuel" est une notion inexistante et sans aucun fondement. Des propos
ont été faussement attribués à un savant mais il n’existe aucune preuve,
et l’intéressé a nié avoir tenu de telles paroles. Il est du devoir de
chacun de vérifier les sources d’une information avant de relayer ladite
information. Il est du devoir de chacun de confronter chaque
information aux informations sûres en provenance du terrain.
Le
manquement à ces précautions de base n’est pas sans conséquences, comme
nous le rappelle le cas de Rawan Qaddah. Dans sa volonté continue de
donner de la consistance aux mensonges qu’il invente lui-même, le régime
syrien a forcé une fillette de 16 ans à "confesser" qu’elle s’adonnait
au "djihad sexuel" malgré elle et qu’elle fut violée par son
propre père. Les confessions ont été filmées dans des conditions que
l’on imagine aisément, et diffusées sur une des deux chaînes nationales.
Le
crédit donné par certains médias à une propagande totalement mensongère
et sans fondement a encouragé le régime syrien à continuer dans le
mensonge qui est le sien, avec un mépris affiché pour la protection des
enfants.
Comme souvent en Syrie, cette triste affaire a fourni aux activistes l'occasion de tourner en dérision la tête du régime.
L'arroseur s'est retrouvé arrosé lorsque certains d'entre eux ont mis en ligne un "tour de rôle", précisant à quelle heure les "frères
moudjahidin"
Abou Omar, Abou Khaled et Abou Ali pourraient épancher leurs besoins
sexuels avec les "sœurs moudjahidât" Aniseh, Asma et Bouchra, en
allusion respectivement à la mère, à la femme et à la sœur de Bachar
al-Assad !
On signalera pour finir que la prostitution, à laquelle s'apparenterait s'il existait le "
djihad
du mariage", était florissante à Damas bien avant le début de la
révolution et que la ville comprenait, à sa périphérie, pour rendre la
chose moins voyante et provocante pour une population socialement
conservatrice, de nombreux "casinos" et "établissements de loisir".
Leurs propriétaires ou leurs bénéficiaires étaient d'importantes
personnalités civiles et militaires du régime, qui profitaient de leur
position pour faire venir du Liban les "danseuses", "chanteuses" et
autres "artistes"... dont ils avaient besoin pour faire marcher leur
business. Récemment, le 12 septembre 2013, le ministre de l'économie du
gouvernement d'Adel Safar, d'avril 2011 à juin 2012,
Mohammed Nidal al-Chaar, a d'ailleurs provoqué un mini-scandale en dénonçant sur sa page Facebook la
prostitution qui s'étalait aux coins de rues, bien avant le
déclenchement de la révolution, et en rappelant que "le ministère de
l'Intérieur avait révélé l'existence de plus de 55 000 appartements
dédiés à la prostitution" en Syrie !
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