Zouheir Aït
Mouhoub, 29 ans, journaliste d’investigation au quotidien El Watan et
correspondant en Algérie de la chaîne allemande ZDF, a été violemment
interpellé récemment à Alger par des policiers qui l’ont menacé. Après enquête,
la police affirme que les policiers ont été sanctionnés par leur tutelle sans
fournir des explications sur les motifs de cette interpellation ni sur les
menaces dont fait l’objet le journaliste.
La police
affirmera ensuite à un responsable d’El Watan que ces éléments appartiennent à
une « brigade spéciale » sans encore une fois fournir des
explications sur la nature de cette brigade, sa composante ou sa mission au
sein de la police nationale. Zouheir Aït Mouhoub raconte à DNA.
DNA : Qu’est
qui s’est passé avec les policiers à Alger ?
Zouheir Ait
Mouhoub : Mardi 31
juillet, 16h50, je sors de la maison avec mon ami réalisateur. Une voiture
noire, de marque Polo, est stationnée en haut de la rue Didouche Mourad.
Au moment où je traverse la rue, la voiture ralentit puis s’arrête. Quatre
policiers habillés en civil sortent du véhicule. Deux m’agrippent par les mains
et tentent de me fouiller.
Ensuite ?
Je me
présente : journaliste au quotidien El Watan. Et je sors ma carte
d'accréditation comme correspondant de la chaîne allemande ZDF en Algérie.
C’est le seul papier en ma possession. Un policier me bouscule, l’autre me
tient violemment par la main et tente de me séparer de mon ami. Encore une
fois, j’explique aux policiers que je suis journaliste et leur demande de
justifier cette interpellation violente.
Que
répondent les policiers ?
L’un deux me
dit : Toi tu es journaliste et mon travail est de fouiller les gens quand
je veux.
Se sont-ils
présentés comme policiers ?
Quand ils
m’ont agrippé, ils n’ont pas décliné expressément leurs fonctions. Ils m’ont
juste dit : « Chorta » (police).
L’interpellation
se fait devant la foule…
Deux
policiers me coincent vers le mur devant la foule sur le trottoir. Je
réponds : On va au commissariat, on s’expliquera sur place. Je m’extirpe
de leur emprise et je me dirige vers le commissariat du 6e
arondissement. Là dessus, celui qui se présente comme leur chef se dirige vers
moi et me dit que c’est lui qui leur a ordonné de me fouiller. Le chef ordonne
aux policiers de relâcher mon ami en leur indiquant que c’est moi qui est visé
par cette interpellation.
Avaient-ils
un mandat?
Ils n’ont
présenté aucun document pour justifier mon interpellation en plein rue. Je me
dirige alors vers le commissariat alors que les quatre policiers me poursuivent
à pied quelques mètres. Avant d’y arriver, un des policiers qui se prétend le
chef me lance en levant la main vers mon visage : « Tu vas payer cher ce
que tu as fait. » Il a répété cette phrase à plusieurs reprises. Sans
aucune autre précision.
Là tu
continues ta route vers le commissariat…
Leur chef
marche à mes côtés quelques mètres avant de me dire : «Fous le
camp ! ». Là, les quatre policiers retournent vers leur véhicule et
démarrent précipitamment. Je prends alors le téléphone et j’informe la
rédaction d’El Watan de l’incident. Un responsable de la rédaction prend
attache avec le chef adjoint de la sureté de la wilaya d'Alger pour le tenir au
courant.
Mais l’incident
n’est clos...
Le soir même,
vers minuit, en rentrant chez moi, j’aperçois un mouvement inhabituel devant
mon immeuble. Je reconnais deux des quatre policiers qui m’ont interpellé
l’après-midi, dont leur chef. J’envois un texto à l’un de mes responsables pour
l’informer que les policiers m’attendent devant mon domicile.
Est-ce que
tu as reçu par la police ?
Le
lendemain, je suis reçu par le chef de sureté de la wilaya d’Alger. Je raconte
dans le détail mon interpellation. Sur place, celui-ci décide d’ouvrir une
enquête. Selon lui, la voiture de marque Polo et de couleur noire
n’appartient pas à la sureté de la wilaya d’Alger. Il me demande de faire une
déposition pour identifier ceux qui m’ont interpellé. Je n’ai pas fait de
déposition écrite.
Tu seras
ensuite reçu par un autre responsable
Au
commissariat de Cavignac, je suis reçu par le chef de sureté. Celui-ci m’assure
que la voiture n’appartient pas à la sureté de daïra et que ses services feront
tout pour découvrir qui m’a interpellé. L’enquête est en cours, m’assure-t-il.
De retour à la rédaction, je reçois un coup de fil de ce responsable pour me
convoquer sur place.
Pour ?
Il m’informe
que le véhicule a été identifié ainsi que les quatre policiers.
Qui
sont-ils ?
Le chef de
sureté me dit : « Ces policiers n’appartiennent pas à mes services. »
Il m’assure que le lendemain, je serai convoqué pour une éventuelle
confrontation, que les policiers allaient être sanctionnés administrativement
et que je pouvais les poursuivre devant une juridiction.
Pourquoi
t-ont-ils interpellé ?
Ils ne m’ont
pas fourni de motifs. Les responsables de la police ne le savent pas ou
prétendent ne pas le savoir. Des policiers m’interpellent en plein
rue, une enquête est diligentée pour les identifier - ils ont été
identifiés -, mais personne n’est en mesure d’expliquer d’où vient l’ordre pour
m’interpeller.
As-tu été
confronté aux policiers qui t’ont interpellé ?
Non !
Le lendemain un des responsables du journal El Watan m’informe que selon le
chef de sureté de wilaya, les quatre policiers ont été interpellés et
sanctionnés. Concernant leur identité, ils appartiennent à une brigade
spéciale.
Une brigade
spéciale, quelle brigade ?
On ne le
sait pas. Le chef de la sureté n’a pas donné au responsable d’El Watan des
précisions sur cette prétendue brigade.
Qui
pourrait-on t’en vouloir ?
Je n’en sais
rien. Un policier qui dit à un journaliste : « Tu vas payer
cher », c’est plus qu’une menace…
As-tu déjà
reçu des menaces pour les articles que tu as déjà publiés ?
Oui, mais
verbalement. On me dit que je cherche trop à comprendre, que je
fouine là où il ne faut pas, je dérange des intérêts dont je ne connais même
pas l’ampleur. Je ne sais pas qui est ou qui sont derrière ces intérêts et je
voudrais bien le savoir.
La
Déclaration d’El Watan
Le journaliste d’El Watan-Week-end, Zouheir Aït Mouhoub, subit depuis quelque
temps un harcèlement de la part d’éléments des services de sécurité en civil
qui le prennent en filature, le guettent devant son domicile, l’abordent
publiquement avec des propos désobligeants ou sur un ton menaçant. Il a été
obligé de changer de domicile pour fuir ce harcèlement.
El Watan dénonce ces pratiques intolérables à l’encontre de Zouheir Aït
Mouhoub, journaliste d’investigation, qui a eu à traiter des sujets sensibles
sur les réseaux mafieux de l’informel, et a eu à révéler à l’opinion publique
les manipulations du pouvoir, notamment celle concernant l’appel du 16
septembre 2011 sur Facebook pour l’organisation d’une «manifestation» contre le
régime.
El Watan se solidarise pleinement avec son journaliste et exige que cessent les
provocations à son encontre. Il se réserve le droit de saisir les autorités
judiciaires compétentes.
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