Mercredi 16 avril 2014
Le jeudi 17 avril, les Algériens seront convoqués à une 
élection jouée d’avance. La Fraude électorale, traditionnelle en 
Algérie, a déjà commencé puisque, comme l’indiqueAlgérie Express, des ordres ont été donnés aux ambassades où les élections ont déjà eu lieu de gonfler le taux de participation. 
 
Cette élection revêt un caractère particulier. Parmi les candidats – 
surnommés par les Algériens les « lièvres » puisqu’ils ne servent qu’à 
courir pour donner l’illusion d’une compétition électorale démocratique 
et transparente – se trouve le prochain vainqueur : Abdelaziz 
Bouteflika. L’actuel chef de l’État brigue un quatrième mandat sans 
avoir fait campagne. Ce sont ses ministres et son entourage politique 
qui sont allés à la rencontre de la population qu’ils ont invectivée et 
menacée.
Victime d’un AVC il
 y a une année, Bouteflika est dans un état de santé des plus fragiles 
et sa convalescence est toujours en cours. Depuis le début de la 
campagne électorale, la télévision tâchant de rassurer quant aux 
capacités physiques et mentales du président, l’a montré péniblement 
debout une seule fois. Si sa gestuelle semble plus assurée au point 
d’éviter aux médias des 
montages ridicules montrant
 la même scène plusieurs fois, on peut douter quant à la véritable 
portée de sa voix. Quand on entend la force de son souffle (sur la 
vidéo à partir de la 30
ème seconde)
 qui indique l’effort surhumain que doit effectuer Bouteflika à chaque 
phrase prononcée, on est en droit de se demander s’il n’est pas porteur 
d’un micro-cravate qui rendrait ce qu’il dit en mesure d’être capté par 
les caméras.
 
En tout cas, ces images répétées d’un président en mesure de recevoir
 les représentants étrangers sont là pour prouver que Bouteflika 
l’emportera et certainement dès le premier tour. Jamais le régime 
algérien, même les rares opposants réels de Bouteflika au sein de 
l’armée, n’aurait pris le risque d’humilier son poulain désormais âgé de
 77 ans.
Retour de la contestation politique
La campagne électorale est bien sûr un leurre. Un non-événement que 
seuls les médias ont transformé en « événement historique ». Comme la 
plupart des médias africains, la presse algérienne peine à écrire la 
véritable histoire du pays. Elle se targue alors dans une imitation 
primaire de la presse du pays colonisateur dont elle reprend les sujets 
qu’elle plaque à l’Algérie.
La candidature de Bouteflika a suscité des réactions différentes que 
les médias et les réseaux sociaux amplifient le plus souvent. Se 
présentant comme un mouvement citoyen, « Barakat » (ça suffit !) a été 
créé le 22 février à Alger avec pour objectif de s’opposer au quatrième 
mandat de Bouteflika. Si ce mouvement a eu un effet essentiellement 
médiatique, d’autres citoyens, notamment des étudiants, se sont 
organisés pour monter à leur tour au créneau. A ce jour, les mouvements 
les plus mobilisateurs ont été constatés en Kabylie et dans l’Aurès, 
terre chaouie insultée par Abdelmalek Sellal, le directeur de campagne 
du favori du scrutin. L’Algérie renoue donc au moins en partie avec la 
contestation politique après un sommeil qui a duré plus de dix ans. Cela
 s’ajoutant à une série de 
scandales financiers ayant
 été interprétés comme le paroxysme de la guerre des clans (les 
pro-Bouteflika contre le pro-Toufik, dirigeant du DRS, le service du 
renseignement) a amené les médias et les observateurs algériens et 
étrangers à voir poindre
l’effondrement du régime algérien.
 
Une telle fin est-elle envisageable ? Le régime algérien est-il 
vraiment essoufflé ? Les Algériens ont-ils les moyens de précipiter 
pacifiquement sa chute ? Tout prouve que le régime algérien n’arrive pas
 à sa fin et qu’il ne disparaîtra jamais de manière pacifique. Il est en
 effet difficile d’imaginer un instant des hommes accusés d’avoir 
détourné des centaines de milliards de dollars, et parfois d’avoir 
participé activement aux crimes commis contre la population dans les 
années 90, céder le pouvoir sans garanties. Il est tout aussi difficile 
d’imaginer la nouvelle génération des militaires, qui a attendu 
plusieurs décennies que son aînée disparaisse pour prendre sa part du 
gâteau, reculer par amour du peuple. Enfin, le peuple algérien n’est 
toujours pas en mesure de faire pression sur ses dirigeants. La 
multiplication des manifestations a une portée limitée car régionale.
Cinquante ans après l’indépendance, dans l’esprit de la population, 
la nation algérienne est toujours un mythe qui n’a rien de concret en 
dehors de son territoire dont les frontières ont été dessinées par la 
France coloniale. Aucune subjectivité ne s’investit dans cet ensemble 
territorial aussi vaste qu’hétéroclite – ce qui permettrait de parler de
 « nation ». L’Algérie n’existe réellement que dans le football quand 
l’équipe « nationale » gagne. Pour preuve, le 
Printemps noir de
 2001 en Kabylie n’a pas mobilisé en dehors de cette région. 
Aujourd’hui, la population mozabite de Ghardaïa est victime de violences
 qui ont fait plusieurs morts, sans que l’État ne daigne mettre un terme
 à cette situation. Des événements aussi gravissimes auraient fait 
sortir n’importe quel peuple dans la rue pour exiger le rétablissement 
de la paix. Mais en Algérie, silence-radio : chaque région ne se sent 
concernée que par les malheurs qui la frappent directement.
 
Programmer la folie du peuple
Cette mythification de la nation est savamment orchestrée et 
entretenue par les décideurs qui arrêtent l’histoire du pays à son 
indépendance. De même, les Algériens ne se connaissent pas entre eux. 
L’État, qui s’est toujours débrouillé pour programmer la folie du peuple(1),
 rend la circulation d’un lieu du pays à un autre difficile, voire 
impossible. Ainsi y a-t-il des endroits où un automobiliste doit 
patienter 3 à 5 heures pour rouler 50 à 100 km. La cause : une 
succession de barrages militaires dont la seule fin est de « stresser » 
la population.
L’idée d’une manifestation nationale, facile à concevoir au Maroc, en
 Tunisie et même en Libye, est encore impossible en Algérie. À ce jour, 
les contestataires du 4
ème mandat n’arrivent pas à 
s’organiser dans un même ensemble. « Barakat », « Mouvement 
protestataire des étudiants démocrates », « Collectif des artistes », 
« Rafdh (Refus) », « le Front du boycott », le Rassemblement pour la 
Culture et la Démocratie (
RCD)…,
 on s’époumone et manifeste toujours en rangs dispersés guidés par la 
méfiance ou la haine de l’autre… Tant que les Algériens ne se mobilisent
 pas dans l’ensemble du territoire pour parler d’une seule voix et pour 
porter le même message, les décideurs algériens ne craindront rien et la
 population n’obtiendra aucun changement en dehors de celui qui lui sera
 volontairement consenti.
 
Le régime algérien a d’autres raisons de se sentir en sécurité. 
D’abord, Bouteflika et son régime tiennent leur force du soutien que 
leur apportent les puissances étrangères comme les États-Unis, le Qatar 
et surtout la France. Tant que ces États soutiennent un candidat, l’avis
 de la population algérienne restera sans importance. Les décideurs 
algériens ne vivent que par et pour ces puissances qui reçoivent 
volontiers leurs fortunes qu’elles protègent en toute conscience.
Par ailleurs, les opposants au régime algérien font de lui leur 
interlocuteur privilégié, ce qui ne peut que le rassurer. Les 
« anti-quatrième mandat », tout en se disant contre le pouvoir en place,
 attendent leur salut de ses propres institutions. Le mouvement 
« Barakat » a 
sollicité le
 Conseil Constitutionnel pour le rejet de la candidature de Bouteflika. 
Aujourd’hui, le même mouvement promet de poursuivre en justice 
certains acteurs de
 la campagne de l’actuel chef de l’État. Des intellectuels, comme Houari
 Ladi, et des hommes politiques comme l’ancien président et général à la
 retraite Liamine Zeroual, l’ancien premier ministre Mouloud Hamrouche 
ou encore l’ex-cadre du Front des Forces Socialistes (FFS) Djamel 
Zenatti, sont allés jusqu’à prier les militaires d’intervenir pour 
sauver l’Algérie du chaos. Or, tout le monde sait que le Conseil 
Constitutionnel, qui a à sa tête un proche de Bouteflika, et la justice 
sont complètement aux ordres des décideurs de l’armée, ceux-là même qui 
ont porté Bouteflika à la présidence en 1999 et qui l’y maintiennent 
encore aujourd’hui. Ces appels n’ont ainsi qu’un seul effet qui est loin
 de faire changer de camp à la peur : donner une légitimité à un régime 
autoritaire et à des institutions qui n’en ont jamais eue aux yeux de la
 population.
 
Quant aux voix qui appellent à voter pour Ali Benflis, le seul 
adversaire sérieux de Bouteflika font mine d’ignorer que l’ancien 
premier ministre de Bouteflika est aussi un homme du système – comme 
tous les autres candidats – qui n’a en rien dérogé aux habitudes de son 
« milieu » en terme de violences ou de fraude électorale.
Néanmoins, il faut reconnaître que l’Algérie assiste à un ordre 
inédit dans son histoire. Pour la première fois depuis l’indépendance, 
la population, particulièrement les jeunes, ont empêché des candidats ou
 des représentants de Bouteflika de mener campagne. Abdelmalek Sellal a 
été 
chassé de Bejaïa et empêché de se rendre à Batna. Les ministres Amar Ghoul et Amara Benyounès ont été 
chahutés à Bouira, le meeting de Saadani, chef de file du FLN, a été 
annulé à Chlef, les ministres Amar Tou et Rachid Harraoubia ont été chassés de Khenchela par une population qui a ordonné : « 
Dégage ! »,
 Louisa Hanoune, présidente de Parti des Travailleurs (PT), candidate à 
l’élection bien qu’elle soit une proche de Bouteflika, a vu quant à elle
 ses meetings systématiquement 
perturbés.
 Ces événements montrent que les discours du régime qui accuse la main 
étrangère d’être à l’origine de tous les maux du pays ou ses opposants 
d’être des ennemis de la religion musulmane et d’une prétendue 
« unicité » de la nation ne fonctionnent plus.
 
Changer de système ou changer de mode de fonctionnement du système ?
Loin de signifier la fin du régime, ces différents événements 
marquent la fin d’un mode de fonctionnement du pouvoir algérien qui va 
sans doute préparer sa propre mue. Cela donnera l’illusion de la mise en
 place de la transition à laquelle appellent tous les opposants au 4
ème mandat.
 Cette progression s’impose car l’État ne peut plus fonctionner avec les
 responsables qu’il se donne aujourd’hui. Rares doivent être les pays 
dans le monde à compter un gouvernement fait d’hommes et de femmes aussi
 incompétents et aussi véreux que ceux que compte le gouvernement 
algérien depuis l’arrivée de Bouteflika. Celui-ci s’est en effet assuré 
un cercle de fidèles vassaux à qui tout est permis. Son ancien ministre 
de l’Énergie, donc responsable du secteur des hydrocarbures, accusé 
d’avoir perçu des 
pots de vin d’un
 montant de 127 millions de dollars, a dû fuir pour se réfugier aux 
États-Unis. Amar Ghoul, ministre des transports, porteur de ce qu’il 
appelle le « projet du siècle » qui consiste en la création d’une 
autoroute de 1200 km reliant l’est à l’ouest du pays, est aussi accusé 
d’avoir 
perçu des
 pots de vin pour l’attribution des parts d’un projet exagérément lent 
et abusivement coûteux. Autre responsable dont l’incompétence est 
accablante, Amara Benyounès, ministre du Développement industriel, a 
aussi été accusé de 
corruption. Au FLN, parti dont le président est président d’honneur, Amar Saidani, chef de file du FLN, 
posséderait deux
 appartements en France où il aurait un compte d’un montant de 300 
millions d’euros. La corruption touche tous les ministères, toutes les 
institutions du pays à quelque niveau que ce soit.
 
Après le 17 avril, il faudra nécessairement faire le bilan des trois 
mandatures précédentes de Bouteflika. Un bilan catastrophique qui 
pourrait mettre l’Algérie à genoux. A l’exception de la SONATRACH, il 
n’y a guère plus aucune société publique qui soit économiquement viable.
 Tout est maintenu sous perfusion pour éviter les fermetures 
successives. Cette réalité-là devra un jour où l’autre être connue du 
peuple dont le plus grand employeur reste l’État. Concernant la 
situation sécuritaire liée à la « Décennie noire », Bouteflika refuse 
d’ouvrir le dossier des disparus mais a amnistié les terroristes qu’il 
dit 
« repentis ». Une injustice a été commise envers toutes leurs
 victimes qui voient leurs bourreaux avoir accès à tous les biens et à 
tout type de passe-droits – un 
émir du GIA est
 même dans le directoire de campagne de Bouteflika – pendant que la 
pauvreté et le mépris croissent partout ailleurs. La situation des 
hôpitaux n’a jamais été aussi inquiétante, le système éducatif est 
totalement brisé et l’ignorance est établie en système. Sans 
exagération, si Abdelaziz Bouteflika a réussi une chose, c’est bien 
celle de faire de l’Algérie un vrai pays « tiers-mondiste ».
 
Les réactions des jeunes, bien que dispersées, n’est pas sans 
rappeler le début du « Printemps tunisien ». Des portraits du dirigeant 
déchirés et brûlés dans la rue, des slogans dont le message est que « le
 peuple veut la chute du régime », des représentants politiques chassés,
 tout indique que l’esprit pacifique qui tient à cœur aux opposants du 
régime pourrait laisser place à une réaction plus violente face à un 
pouvoir qui ne maîtrise que le langage des matraques et des 
kalachnikovs. Durant cette campagne électorale, les partisans de 
Bouteflika ont tué un jeune homme à Tipaza et n’ont pas hésité à menacer
 de s’occuper de leurs opposants après le scrutin. Symboliquement, le 
lynchage des pro-régimes par les anti-régimes et
vise-versa a déjà
 commencé sur les réseaux sociaux où des photos, des noms et des 
adresses de personnes déterminées sont chaque jour soumis à la vindicte 
des internautes. Déjà, deux médias sont
privés de
 la manne publicitaire distribuée par l’Agence nationale d’édition et de
 publicité (ANEP). Ils se voient sanctionnés pour avoir reçu les membres
 du mouvement « Barakat ! ».
 
Pour affronter la situation difficile qui pourrait prévaloir après le
 17 avril, le régime pourrait soit faire le choix de précipiter une 
révolution qu’il ne pourra jamais arrêter ou changer de mode de 
fonctionnement en se séparant des dirigeants qui cristallisent la colère
 du peuple pour nommer des responsables compétents. Ces derniers 
seraient forcément issus de nouveaux espaces que celui du FLN qui 
n’arrive plus à pourvoir L’État en cadres dignes de ce nom. C’est là que
 se jouera la perpétuité du régime algérien.
(1) L’acharnement du régime algérien à programmer la
 folie du peuple passe aussi par la voie des medias. Ainsi, avant que 
Bouteflika ne se déclare officiellement candidat, les relais du pouvoir 
n’ont cessé de manipuler les journalistes en leur transmettant des 
informations contradictoires et chaque jour changeantes sur les desseins
 du chef de l’Etat et sur ses rivaux potentiels. La peur au ventre, le 
lecteur voyait ses références entrer dans une instabilité chronique et 
il lui devenait impossible de se projeter dans l’avenir.
   
 
 
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