Samedi 22 juin 2013
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| Chakib Khelil, ancien
ministre de l'Energie et proche du président est au centre de plusieurs
enquêtes de grosses affaires de corruptions |
Le divorce entre l’Etat la majorité de la population algérienne atteint
un niveau rarement égalé, poussant le pays au suicide collectif où tous
les segments de la société veulent leur part de rente et immédiatement.
Aussi,
sans un retour aux valeurs morales, fondement de la réhabilitation du
travail source de la richesse de toute nation, le combat contre la
corruption qui tend à se socialiser, mais devant éviter tout règlement
de comptes ,passant par une réelle indépendance de la justice, tout
discours, conférences, réunionites n’auront aucun effet sur le devenir
du pays. Le blocage n’est-il donc d’ordre systémique ?
1. La corruption se socialise en Algérie
La
corruption existe de par le monde et en Algérie depuis l’indépendance
mais depuis quelques années elle a pris des proportions inégalées dans
le pays. Et l’erreur est d’avoir déversé une masse monétaire colossale
sur le marché sans avoir prévu des mécanismes de contrôle, le plus
efficace étant le populaire par un Etat de droit et la démocratisation
de la vie politique et économique et en redynamisant certains
institutions comme la Cour des comptes qui dépend organiquement de la
Présidence de la république selon la Constitution. Le bilan doit être
fait sans complaisance. La dépense publique entre 2004 et 2013 selon
les propos du président de la république dans différents conseils des
ministres seraient de 500 milliards de dollars. Si l’on avait une bonne
gestion et une lutte efficace contre la corruption, avec seulement 10%
d’économie, l’Algérie économiserait 50 milliards de dollars. Que
représentent 260 millions de dollars du scandale de Saipem comparés à ce
montant ? Il est évident que l’impact de la dépense publique entre 2004
et 2013 est très mitigé, avec un taux de croissance n’ayant pas dépassé
3%, alors qu’il aurait dû être entre 10 et 15% devant nous poser
beaucoup de questions. Parmi les raisons ayant favorisé la propagation
de la corruption dans l’administration on peut citer le clientélisme,
l’incompétence, la bureaucratie qui est le fondement du système
rentier. La corruption est l’une des raisons essentielles du retour à
l’inflation qui pénalise les couches les plus défavorisées. La sphère
informelle qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation et 65%
des segments des produits de première nécessité où tout se traite en
cash, favorise la corruption. Il existe un lien dialectique entre la
logique rentière, la logique bureaucratique et la logique de la sphère
informelle. L’efficacité des institutions passe par une nouvelle
gouvernance, un Etat de droit, plus de libertés et une réorientation de
toute la politique socio-économique, en s’attaquant à l’essentiel. Il
existe un théorème en sciences politiques dit 80/20%. 80% d’actions mal
ciblés que l’on voile par de l’activisme ministériel, ne donnent qu’un
impact de 20%, alors que 20% d’actions bien ciblées donnent au contraire
un impact de 80%.
A
ce propos, combien d’entreprises publiques et privées ont la
comptabilité analytique indispensable pour cerner les coûts, et combien
de ministères et administrations algériennes sont régies par la
rationalisation des choix budgétaires où sans ces instruments le
contrôle externe est presque impossible ? Aussi, pour lutter
efficacement contre la corruption, je recommande un diagnostic sans
complaisance sachant que selon le rapport de la banque africaine de
développement en mai 2013, les transferts illicites de capitaux en
dehors de l’Algérie ont dépassé la somme faramineuse de 173 milliards de
dollars soit plus de 9O% des réserves de change cumulées en 2013 et
cela doit être suivi d’un large débat national. Il s’agit d’établir un
audit financier indépendant de la gestion de la rente pétrolière qui est
la propriété de tout le peuple algérien impliquant un calcul cumulé sur
plusieurs décennies pour déterminer les évolutions et la part investie
par Sonatrach structurellement et le versement au Trésor. Établir un
audit de la distribution de la rente (98% des exportations étant
constituées des hydrocarbures) structurellement depuis plusieurs
décennies impliquant l’audit du système financier, notamment public,
appendice de la rente des hydrocarbures, les banques publiques
accaparant 90% des crédits globaux octroyés, véritable enjeu de pouvoir
expliquant que les réformes souvent annoncées sont renvoyées aux
calendes grecques. – Établir un audit sur la gestion des réserves de
change 86% étant placées à l’étranger devant préciser, la nature, en
bons de Trésor, en obligations européennes ou dans des banques
internationales privées, dans quel pays et à quel taux d’intérêt avant
et après la crise de 2008. Un audit sur le Fonds de régulation des
recettes, qui n’existe nulle part dans le monde, devant le différencier
des Fonds souverains qui a montré leur inefficacité. Nous assistons
périodiquement à des lois de finances complémentaires, le gouverneur de
la Banque d’Algérie ayant affirmé récemment que l’Algérie fonctionne sur
la base d’un cours de 110 dollars le baril alors que les lois de
finances entre 2000/2013 ont été établies sur la base de calcul au
départ à 19 dollars et ensuite à 35 dollars. Ce fonds est géré d’une
manière occulte, pouvant le gonfler par une dévaluation du dinar voilant
tant l’importance du déficit budgétaire que l’inefficacité de la
dépense publique. Je préconise sa suppression, également les fonds
spéciaux, après des audits sérieux, devant établir chaque année la loi
de finances sur la base du cours du marché quitte à placer l’excédent
dans un fonds pour les générations futures. Ainsi, un audit sur les
impacts de la dépense publique, entre 2000 et 2013 devient impérieux,
mettant en relief à la fois la dépense monétaire et les réalisations
physiques, avec des comparaisons internationales pour des projets et
pays similaires. Et particulièrement son impact sur le taux de
croissance, notamment l’émergence d’entreprises compétitives, sur le
taux de chômage non artificiellement gonflé mais le réel, sur le social
notamment sur le niveau de l’inflation et sur le pouvoir d’achat de la
majorité de la population en spécifiant la répartition du revenu
national et du modèle de consommation entre les différentes couches
sociales. Et enfin, un audit à la fois sur les subventions généralisées
sans ciblage(les transferts sociaux sont évalués à 1400 milliards de
dinars en 2012) et une quantification de la perte due à l’exode des
cerveaux et la marginalisation des compétences locales et donc du
pourquoi le passage d’un montant de 2 milliards de dollars en 2002 à
plus de 12 milliards de dollars fin 2012.
2.-La corruption produit de pratiques sociales occultes
Certes
s’il y a des corrompus, il y a forcément des corrupteurs impliquant une
refonte profonde des relations internationales fondées sur plus de
moralité en combattant les paradis fiscaux. Les résolutions du G8 après
la crise concernant cet aspect, bien qu’il y ait une prise de
conscience n’ont pas produit pour l’instant des effets tangibles. Les
gestionnaires algériens sont ballottés entre le souci de l’efficience
de leur entreprise, ce qui suppose des prises de décision en temps réel,
et les injonctions politiques, pouvant se trouver au centre de
scandales financiers. Ils sont actuellement tétanisés. Or sans prise de
risques, on ne peut dynamiser l’économie. Cela pose la problématique de
la transition vers l’économie de marché où l’Algérie n’est ni dans une
économie planifiée, ni dans une véritable économie de marché
concurrentielle, renvoyant au rôle de l’Etat dans le développement
économique et social, rôle qui a fondamentalement changé avec la
mondialisation. Sans le rétablissement de la morale, l’Etat de droit et
la démocratisation, tous les discours et toutes les institutions
bureaucratiques mis en place demeureront inefficaces avec le risque
d’une extension de la corruption et d’une implosion sociale à terme
que l’on couvre par la distribution de la rente, aboutissant à une
corruption socialisée. Des débats contradictoires productifs, un
dialogue serein et responsable loin de tout autoritarisme bureaucratique
des années passées, deviennent nécessaires. La démobilisation de la
population algérienne qui connait, à travers les différents scandales
financiers, une névrose collective, se traduit par un divorce croissant
Etat/citoyens. D’où l’urgence d’une plus grande moralité de ceux qui
dirigent a moralité la Cité. Comment un responsable peut-il avoir une
autorité morale auprès de ses collaborateurs ou des citoyens lorsqu'il
verse lui-même dans la délinquance, risquant de contaminer la société.
Car comme l'a souligné le grand sociologue Ibn Khaldoun, il y a de cela
plusieurs siècles "lorsque le pouvoir est atteint d'immoralité, c'est la décadence de toute la société".
Les
scandales financiers généralisés touchant la majorité des secteurs de
l'activité nationale menacent les fondements de l'Etat algérien. Avec la
situation géostratégique au niveau de la région, la menace est encore
plus grande. Les dernières élections législatives et locales ont déjà
montré un taux de non-participation très élevé, l'APN et le Sénat
n'étant donc pas représentatifs, pour engager l'avenir du pays. Ce
désintérêt risque de se reproduire en avril 2014 si des mesures
salutaires ne sont pas prises. Le redressement national est lié à la
bonne gouvernance, à l'instauration d'un Etat de droit qui ne peut être
possible que si l'Etat est droit et une véritable justice indépendante
sans lesquels aucun développement fiable n'est possible. Les discours de
mobilisation des responsables étant vains avec la défiance des citoyens
où tous les segments de la société veulent leur part de rente et
immédiatement. Je ne saurai attirer l'attention des pouvoirs publics
algériens et il suffit de faire une enquête au niveau de toutes les
wilayas du pays en ce mois de juin 2013, ce n'est pas de la sinistrose,
mais l'amère réalité, pour constater la très grave crise morale que
traverse le pays, du divorce croissant entre l'Etat et les citoyens.
Malgré ses importantes potentialités, il y a risque d'un suicide
collectif et d'une très grave crise politique et sociale dans les
prochaines années que l'on couvre transitoirement par une redistribution
passive de la rente des hydrocarbures. Dans ce contexte, je propose les
trois mesures urgentes suivantes: Primo: tous les responsables
politiques, président de la République, directeur de cabinet, secrétaire
général et conseillers à la présidence de la république, le Premier
ministre et ses proches collaborateurs, les ministres et les directeurs
généraux de ces ministères, les walis, chefs de daïra, les députés, les
sénateurs, les élus locaux et les directeurs généraux des entreprises
publiques, ainsi que les dirigeants de tous les partis politiques et
associations nationales doivent publier leur patrimoine ainsi que celui
de leurs femmes et enfants tant au niveau national qu'à l'étranger.
Cette déclaration doit être publique et insérée dans la presse
nationale. Secundo: bien que la présomption d'innocence doit être la
règle, toute personne ayant des implications directes ou indirectes avec
les affaires de corruption, afin de ne pas utiliser sa fonction pour
influencer la justice, doit démissionner, ne pouvant pas pour une
période à déterminer avoir une fonction supérieure, créer un parti
politique ou se présenter à un mandat électif. Tertio: afin d’éviter la
confusion entre les intérêts de l'argent et le service public, toute
personne gérant des affaires directement ou indirectement doit
démissionner d'une fonction publique ou élective quel que soit le
niveau.
3.-Personne n’a le monopole du nationalisme en Algérie
L’économie
algérienne est caractérisée par le syndrome hollandais (n’exportant que
des hydrocarbures et important presque tout) où la crise est avant tout
politique devant passer par la refondation de l’Etat pour asseoir un
Etat de droit, sur des bases démocratiques tenant compte de notre
anthropologie culturelle. Évitons la sinistrose, l’Algérie ayant toutes
les potentialités pour réussir face à cette mondialisation impitoyable
où toute nation qui n’avance pas recule, mais également
l’autosatisfaction à l’image de Narcisse : c’est moi qui ai raison et
tout le reste est mensonge. Continuer dans l’actuelle voie où la société
algérienne devient anémique (désintégration des normes sociales où la
moralité devient absente) est suicidaire pour le pays à l’image du
Titanic où les gens dansaient pendant que le bateau coulait. Et pour
terminer dans ce langage de vérité, personne ne pouvant se targuer
d’être plus nationaliste qu’un autre ou de traiter de menteurs ceux qui
contredisent objectivement certaines données officielles. Connaissant le
premier ministre, son dérapage verbal récent est du certainement à
une certaine fatigue et lassitude face aux pressions des événements et
se basant sur certaines données qu’il s’agira de vérifier. Évitons donc
les polémiques inutiles qui nuisent aux intérêts supérieurs du pays,
personne n’ayant le monopole de la vérité d’où l’importance d’un débat
public serein, loin de toute passion. Oui, et je peux démontrer, étant
prêt à un débat télévisé, au vu de la situation actuelle, à moins
d’importantes découvertes rentables économiquement, que les réserves
vont à l’épuisement se calculant selon le vecteur coût prix
international, pouvant découvrir des milliers de puits mais non
rentables. D’où l’urgence d’un nouveau modèle de consommation se fondant
sur un Mix énergétique. Les données calculées sur les craintes de
pertes de marché, l’épuisement possible des réserves en hydrocarbures
face aux nouvelles mutations énergétiques mondiales, comme j’ai eu à le
démontrer récemment face à un forum mondial consacré à l’énergie à
Paris, analyse largement partagée par ailleurs, ne tombent pas du ciel
mais se fondent sur des statistiques officielles prenant en compte
donc les réserves, (c’est le PDG de Sonatrach qui le 24 février 2013 a
affirmé que les réserves de gaz sont de 2.000 milliards de mètres
cubes gazeux, données reprises par tous les organismes internationaux )
les extrapolations d’exportation et la forte consommation intérieure. Du
fait du doublement des capacités d’électricité à partir des turbines de
gaz.Que les officiels évitent donc de se contredire souvent du fait
de l’effritement du système d’information, et que l’on dialogue et qu’on
confronte nos idées loin de l’intolérance, fondement de la mentalité
rentière bureaucratique qui veut vendre des illusions au peuple algérien
conscient. Un langage de la vérité, rien que de la vérité si l’on veut
éviter ce divorce Etat –citoyens que le premier ministre a mis en
évidence dans plusieurs de ses déclarations. Quant aux réserves de gaz
de schistes, les 20 000 milliards de mètres cubes gazeux (contre 6.000
pour l'AIE) ces données résultent d’un vieux rapport commandé par
Sonatrach en 2002, et le ministre de l'Energie avait déjà repris ces
données estimant entre 17.000 et 18.000, lors d'une conférence à Houston
; ce n'est donc pas une nouveauté. N’étant ni pour, ni contre, il
faudra maîtriser la technologie de la fracturation hydraulique (achat
donc du brevet) comme le montre les débats au niveau mondial, tenir
compte de la spécificité de l’Algérie pays semi –aride où un milliard
de mètres cubes gazeux nécessite un million de mètres cubes d’eau
douce.
L’eau
du Sahara est saumâtre, nécessitant des unités de dessalement
alourdissant les coûts Par ailleurs, doivent être réalisés les
investissements importants dans les canalisations où l’on doit perforer
plusieurs centaines de puits sur plusieurs kilomètres carrés dont la
durée ne dépasserait pas 5 ans contrairement aux grand champs de gaz
conventionnel de Hassi R’Mel, et injecter plusieurs centaines de
produits chimiques. Il s’agira d’éviter la détérioration tant de
l’environnement que des nappes phréatiques non renouvelables que se
partagent plusieurs pays riverains, notamment la Libye et la Tunisie. A
quel coût donc l’Algérie peut-elle produire ce gaz de schiste face à la
concurrence internationale ? Aussi, tout en étant conscient que les
hydrocarbures, du moins pour 15-20 ans constitueront encore la
ressource de financement principale, devant l’utiliser au mieux, et là
on revient à la mauvaise gestion et à la corruption, il devient
impératif en 2013 de se projeter horizon 2030 au moment où la
population approchera 50 millions (gouverner c’est prévoir et non
dépenser sans compter pour une paix sociale fictive de court terme) afin
de dépasser le statut quo actuel fondé sur l’illusion rentière,
réhabiliter l’entreprise créatrice de richesses et son fondement le
savoir, si l’on veut mettre en place une économie productive pour les
générations futures et ce dans le cade des avantages comparatifs
mondiaux. Car, après 50 ans d’indépendance politique, l’Algérie n’a pas
toujours d’économie. En résumé, la bureaucratie et la corruption sont
les obstacles principaux à l'investissement utile créateur de valeur
ajoutée durable devant asseoir un Etat de droit et revoir l’actuelle
gouvernance. On combat la corruption par la démocratie réelle et non
formelle supposant une mutation systémique maîtrisée.
Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités et expert international
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