Devant un parterre de journalistes, il a annoncé le lancement d’un
mandat d’arrêt international contre non seulement Chakib Khelil, ancien
ministre de l’Energie et des Mines, mais également contre son épouse et
ses deux fils, contre Farid Bedjaoui (déjà concerné par un autre mandat
d’arrêt international lancé par la justice italienne), mais aussi Réda
Hemche, homme de confiance de Chakib Khelil et ex-directeur de cabinet
du PDG de Sonatrach, ainsi qu’à l’encontre de trois commerçants
binationaux ayant joué le rôle d’intermédiaires pour l’obtention de
marchés dans le secteur de l’énergie.
Les accusations portées contre l’ancien ministre sont très lourdes :
«Corruption, trafic d’influence, abus de fonction, blanchiment d’argent
et direction d’une association de malfaiteurs et d’une organisation
criminelle transnationale». En tout, 20 personnes physiques et deux
morales (Saipem et Orascom Industrie) ont été inculpées, dont deux
placées sous mandat de dépôt et deux autres sous contrôle judiciaire.
Organisée à la dernière minute, la conférence de presse du procureur
général avait pour but, a-t-il précisé, «de lever toute équivoque» quant
au déroulement de l’enquête judiciaire sur l’affaire Sonatrach 2.
«Comme promis, je vais faire état du développement de toute
l’instruction judiciaire sur cette affaire qui vient en prolongement à
celle dite Sonatrach 1 et a été clôturée le 14 octobre 2012 avec
l’inculpation de neuf personnes physiques et Saipem en tant que personne
morale», a expliqué le procureur général, précisant que les réponses
des commissions rogatoires délivrées par le juge de la 8e chambre du
pôle pénal spécialisé, en charge du dossier, sont parvenues bien après
l’achèvement de l’enquête, ce qui a poussé les autorités judiciaires à
ouvrir un nouveau, dit Sonatrach 2. «C’est totalement faux de croire que
le parquet d’Alger a attendu la justice italienne pour réagir.
Sonatrach 2 n’est que le prolongement de Sonatrach 1. La commission
délivrée à la justice française est revenue avec une seule partie en
raison de la complexité de la mission demandée. La deuxième partie n’a
été transmise qu’en juillet 2012.
Concernées elles aussi, les autorités judiciaires suisses destinataires
également d’une commission rogatoire, ont demandé non seulement le
dossier d’un des accusés principaux, mais également l’autorisation de
l’entendre sur les faits qui lui sont reprochés. Toute cette situation a
fait qu’un nouveau dossier ait été ouvert sur un réseau international
bien organisé avec des ramifications sur l’ensemble des continents qui
pratiquait la corruption pour obtenir des contrats avec Sonatrach», a
révélé M. Zermati. Selon lui, des montants énormes ont été versés aux
intermédiaires pour les transférer sur les comptes des responsables de
l’énergie et des dirigeants de Sonatrach à travers des opérations
bancaires très complexes, dans de nombreux pays et sur plusieurs
continents, précisant que ces fonds «aboutissaient soit directement chez
les responsables de l’énergie ou indirectement chez les membres de
leurs familles, leurs proches ou leurs anciennes connaissances».
«Un réseau international bien organisé et complexe»
Les premiers éléments de l’enquête, a souligné le procureur général,
«nous ont permis de retrouver la traçabilité de ces comptes en Asie, en
Europe, aux Emirats arabes unis, au Moyen-Orient et aux Etats-Unis.
«Les
montants de chacune de ces opérations varient entre 20 millions de
dollars et 175 millions d’euros. Une partie de ces fonds a été investie
dans l’achat de biens immobiliers eu Europe». Sur la question des
mesures prises par la justice algérienne, M. Zermati a indiqué qu’au
niveau national, le juge d’instruction a procédé au gel des comptes et à
la saisie conservatoire des biens des personnes poursuivies dans cette
affaire, alors que dans le cadre de la coopération internationale, le
magistrat a demandé «le gel de tous les fonds en lien avec l’affaire».
Tout en saluant «la bonne coopération» avec de nombreux pays, citant
l’Italie, la France et la Suisse, le procureur général a précisé que
pour le cas de l’Etat helvétique, une procédure de récupération de
l’argent a été engagée par l’Algérie, avec l’aide des autorités suisses,
après que l’accusé concerné par ces fonds ait accepté de les restituer.
«Nous sommes toujours au début de l’instruction. Il est probable que
d’autres développements apparaissent et que l’enquête puisse connaître
une autre vitesse après le retour des commissions rogatoires. Le cercle
des inculpations risque donc d’être élargi et les qualifications des
faits peuvent être revues», a-t-il lancé.
A la lumière de ces révélations, le juge d’instruction a décerné un
mandat d’arrêt international contre Chakib Khelil, son épouse et ses
deux enfants, mais aussi contre Farid Bedjaoui, Réda Hemche et trois
commerçants ayant la double nationalité, qui ont joué le rôle
d’intermédiaires lors de ces transactions. «Ces mesures constituent un
saut qualitatif important. Elles sont le résultat de faits concrets
auxquels la justice algérienne est arrivée», a souligné M. Zermati.
Interrogé sur le fait que l’ancien ministre ait pu quitter le pays en
toute quiétude alors que ses domiciles à Alger et à Oran avaient été
perquisitionnés simultanément, le procureur général a répondu : «Le juge
a le droit de procéder à des perquisitions dans des lieux qu’il juge en
lien avec les faits sans que le propriétaire soit inculpé. Chakib
Khelil n’était pas inculpé au moment où ses domiciles étaient fouillés.
Les convocations lui avaient été transmises et il les avait bien reçues.
Il a adressé une lettre manuscrite au juge d’instruction à partir des
Etats-Unis, où il était installé, pour l’informer de son impossibilité à
se présenter parce qu’il était malade et que son médecin lui a interdit
de voyager durant une période de deux mois. Il a joint à cette lettre
un certificat médical dûment signé. C’était le 13 mai 2013. Depuis, il
n’a plus donné signe de vie.»
«Même s’il est Américain, pour nous Chakib Khelil restera Algérien»
«Plus de deux mois se sont écoulés et il ne s’est pas présenté. Il y a
deux semaines, le juge a lancé un mandat d’arrêt international à son
encontre et à l’encontre des membres de sa famille.» A la question sur
sa nationalité américaine qui lui permet d’éviter une éventuelle
extradition, M. Zermati a répondu : «Il est vrai qu’il a la nationalité
américaine, mais pour nous il est Algérien. Il suffit qu’il quitte les
Etats-Unis et tout dépendra du pays où il s’adressera…»
M. Zermati a affirmé par ailleurs que des montants importants ont été
trouvés sur les comptes gelés appartenant aux accusés domiciliés à
l’étranger : «Nos demandes ont été acceptées par tous les pays avec
lesquels nous avons travaillé jusque-là. Nous travaillons dans la
discrétion et nous prenons tout le temps qu’il faut parce que le pire
ennemi du juge est la précipitation. Toutes les accusations portées
contre Chakib Khelil ont été étayées par des faits probants qui ne
laissent aucune faille et qui ont eu comme suite inévitable le mandat
d’arrêt international. Les procédures de gel des comptes domiciliés à
l’étranger et de la saisie conservatoire des biens de tous les accusés
sont en cours.» A propos du rapatriement de ces fonds (dont se réclame
également la justice italienne), le procureur général a déclaré : «Cette
procédure est clairement définie par la convention onusienne de lutte
contre la corruption, ratifiée par l’Algérie, qui précise tous les
mécanismes de restitution et de rapatriement des avoirs détournés.»
A une question sur la non-implication de l’ancien ministre de l’Energie
dans l’affaire Sonatrach 1, M. Zermati a répondu : «Tout simplement
parce que les faits contenus dans le dossier sont différents de ceux de
Sonatrach 2.» Sur les pays où les comptes des personnes incriminées ont
été retrouvés, notamment ceux de Chakib Khelil, de sa famille et de
Farid Bedjaoui, le procureur général a affirmé qu’il s’agit pour
l’instant de quelques-uns domiciliés à Hong Kong, à Singapour, aux
Emirats arabes unis, au Liban, et dans des pays du Moyen-Orient, ainsi
qu’en France, en Italie et en Suisse, trois pays, a-t-il souligné, qui
ont «très bien collaboré» avec le pôle pénal spécialisé d’Alger.
Le procureur général a conclu : «La corruption est un phénomène mondial
qui a toujours existé. Mais nous pouvons dire qu’en Algérie, nous avons
failli à la mission de contrôle. Et quand je dis ‘nous’, je vise tous
les responsables, chacun à son niveau. J’espère que cette affaire
servira de leçon à nos dirigeants pour le futur. Si nous avons réagi en
réprimant, c’est que nous avons failli en prévention…»
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