Face à cette omerta helvétique, au secret de l’instruction, inviolable, qui est mis en avant du côté algérien, différentes lectures ont été livrées de l’objet de l’entraide judiciaire algéro-suisse par nombre de juristes interrogés par El Watan Economie.
Or, l’accord bilatéral d’entraide judiciaire en matière pénale, conclu entre Alger et Berne, le 3 juin 2006, se limite à l’obtention de preuves et aux notifications. Partant, dans le cas Chakib Khelil, l’assistance sollicitée par les magistrats nationaux pourrait cibler l’obtention de preuves, estime, pour sa part, Kamel Rahmaoui, juriste, diplômé en droit international.
Les comptes suisses de Chakib Khelil
D’autant que, explique-t-il, dans les enquêtes pénales internationales, le Ministère public de la confédération (MPC) peut disposer, en particulier, de la Police judiciaire fédérale (PJF). En la matière, la coopération judiciaire entre les magistrats milanais et leurs homologues suisses dans l’affaire de corruption présumée impliquant la filiale Saipem du Groupe pétrolier italien ENI, en est un parfait exemple. En effet, sur mandat du MPC, la PJF a exécuté des opérations de récolte de moyens de preuves en Suisse, destinés aux juges italiens. Certains des juristes interrogés penchent vers le compte secret, où Chakib Khelil aurait mis à l’abri entre 17 et 20 millions de dollars, en plus d’autres millions qu’il aurait déposés dans un coffre dans une banque genevoise, fruits des commissions obtenues dans les contrats controversés liés au scandale Sonatrach 2. Et nos interlocuteurs de noter, au passage, qu’ «outre les comptes secrets, en Suisse, il y a aussi la possibilité de louer un coffre, sans ouvrir de compte, et d’y déposer l’argent liquide».
L’argent a-t-il transité par la filiale de Sonatrach, l’IHC ?
Toutes ces zones d’ombre qui entourent l’objet de l’entraide algéro-suisse ciblant Chakib Khelil appellent à d’autres interrogations. Celles de savoir, notamment : pourquoi est-ce au MPC que l’Unité de l’entraide judiciaire, soit l’OFJ, a délégué l’exécution de la demande. Car dans la pratique, il est établi qu’en Suisse l’exécution des demandes d’entraide est du ressort exclusif des autorités cantonales. «L’OFJ peut déléguer l’exécution d’une demande d’entraide judiciaire à une autorité fédérale qui serait compétente si l’infraction avait été commise en Suisse, par exemple le Ministère public de la confédération - pour des actes de terrorisme, ou la corruption de fonctionnaires fédéraux», relèvera Kamel Rahmaoui. Dans ce cas précis, peut-on parler d’un lien éventuel avec International Holding Corporation, une filiale de Sonatrach dont le siège est à Lugano ? «Il est fort probable que Chakib Khelil, Redha Hemche et Farid Bedjaoui aient utilisé cette filiale comme canal par où aurait, peut-être, transité l’argent, en lien avec l’affaire Sonatrach 2, dont ils sont accusés d’avoir perçu», nous a-t-on répondu, faisant référence, dans la foulée, aux trois antennes - Zurich, Lausanne et Lugano - dont est doté le MPC.
Par cette instruction pénale où les juges suisses ont accepté de prêter assistance à leurs collègues algériens, est vraisemblablement visé Riadh Benaïssa, l’ex-haut dirigeant en Afrique du Nord du leader canadien de l’ingénierie SNC Lavalin, s’accordent à croire d’anciens membres de l’Association des fonctionnaires internationaux algériens (AFIA), basée à Genève, apparemment bien au fait des arcanes de la justice suisse, contactés.
Riadh Benaïssa en ligne de mire
Détenu à Berne depuis mi-avril 2012, pour soupçons de «blanchiment d’argent, d’escroquerie et de corruption d’agents publics à l’étranger», le canadien d’origine tunisienne est, selon ces sources, au cœur de l’enquête menée depuis quelques mois par le MPC pour le compte du parquet d’Alger. Et pour cause, «si SNC Lavalin se trouvait toujours comme l’entreprise la mieux placée dans les appels d’offres de projets algériens, dans ceux de Sonatrach en particulier, c’est en partie grâce aux efforts de M. Benaïssa. Travaillant main dans la main avec Farid Bedjaoui qui agissait en ‘‘conseiller financier’’ de Chakib Khelil, F. Benaïssa a facilité l’accès de SNC Lavalin à un contrat de 1,2 milliard de dollars pour la conception et la construction d’un grand complexe gazier dans notre Sahara, en plus d’autres contrats valant des milliards de dollars : des centrales thermiques, projets hydrauliques et ferroviaires, usine de dessalement de l’eau de mer, barrage, infrastructures et bâtiments», assure par ailleurs un ancien pétrolier vivant entre Lausanne et Tokyo — sa compagne, une hôtesse de l’air japonaise rencontrée lors d’un voyage professionnel (période Sonatrach) au pays du soleil levant — qui a requis l’anonymat. Toujours d’après cet ex-haut responsable de Sonatrach (1990-2010), reconverti au consulting international dans le domaine énergétique, l’audition, en tant que témoin, de Riadh Benaïssa, ferait partie des différentes mesures d’entraide en cours d’exécution par les autorités judiciaires suisses à la demande d’Alger. L’audition de témoins et d’inculpés ainsi que la confrontation de personnes étant consacrées par l’accord bilatéral algéro-suisse de juin 2006, dans sa partie «obtention de preuves».
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