Vendredi 13 février 2015
Un an après la promulgation de la nouvelle Constitution le 10 février
2014, la Tunisie porte toujours le lourd fardeau juridique hérité de
près de cinquante ans de dictature.
Le processus démocratique est
loin d'être achevé et les principes inscrits dans la Constitution n'ont
toujours pas donné lieu aux réformes attendues, particulièrement en ce
qui concerne les catégorie sociales discriminées dont entre autres les
femmes.
La Constitution consacre l'égalité entre les "citoyens et
les citoyennes" en droits et en devoirs, la dignité de la personne et
son intégrité physique.
L'article 46 de la Constitution impose
également à l'Etat d'oeuvrer au développement et au renforcement des
droits des femmes ainsi qu'éliminer les formes de violence dont elles
sont victimes.
Tout début de construction d'une société moderne
et équilibrée passe d'abord par des réformes juridiques qui seront plus
tard les bases solides d'un réel changement social, il relève donc du
rôle de la nouvelle Assemblée des Représentants du Peuple de poser les
premières pierres d'un Etat de Droit.
Troisième partie: La prostitution
A
l'exception de la prostitution relevant de la compétence de l'Etat, le
code pénal tunisien sanctionne dans son article 231 la personne
prostituée et le client de façon égalitaire même si la jurisprudence
tend à favoriser le client.
Cette loi punitive issue de la
colonisation française et dont les dispositions ont ont été modifiées
par l'État tunisien indépendant impose une sanction pouvant aller
jusqu'à deux ans de prison assortie d'une amende de 200 dinars tout au
plus.
Article 231: "Hors les cas prévus par les
règlements en vigueur, les femmes qui, par gestes ou par paroles,
s'offrent aux passants ou se livrent à la prostitution, même à titre
occasionnel, sont punies de 6 mois à 2 ans d'emprisonnement, et de 20 à
200 dinars d'amende.
Est considérée comme complice et punie de la même peine toute personne qui a eu des rapports sexuels avec l'une de ces femmes."
Dans
le monde, les approches étatiques vis-à-vis du travail du sexe sont
différentes et parfois presque contradictoires. On peut parler de
prohibitionnisme comme dans la plupart des pays arabes ou encore de
dépénalisation comme au Danemark.
Dans d'autres pays, on s'acharne
dans des tentatives d’abolitionnisme en suivant les traces du modèle
suédois. En effet, depuis 1999, la Suède qui se distingue par un
féminisme d'État a adopté une
loi qui prévoit l'interdiction de l'achat d'actes sexuels en pénalisant le client et en présentant la personne prostituée en tant que victime et dans le besoin d'aide sociale.
En termes de solutions législatives, d'autres assemblées se résignent en cédant au réglementarisme français. Par exemple,
en 2002 une loi a été votée en Allemagne
visant à accorder des droits et obligations aux personnes prostituées
en leur accordant une couverture sociale ou encore la possibilité de
porter plainte contre un employeur ou un client.
Par contre, en
Tunisie, la situation est exceptionnelle. En effet, la prostitution est
un secteur qui relève de la compétence exclusive de l'Etat. C'est à dire
qu'elle n'est considérée comme étant légale que dans le cadre restreint
prévue par le ministère compétent qui est celui de l'intérieur.
Régulée par le décret du 30 avril 1942, la définition juridique de la personne prostituée est pour le moins anachronique.
"Femme
qui s’offre contre rémunération ; celle qui fréquente d’autres
prostituées, des proxénètes masculins ou féminins ; celle qui provoque
par gestes obscènes, qui erre sur la voie publique ; celle qui fréquente
les hôtels, les boites de nuit, les débits de boisson, les salles de
spectacle ; celle qui d’âge inférieur à 50 ans fait partie du personnel
domestique d’une maison de prostitution."
Selon
cette même réglementation, afin de quitter le registre de la
prostitution, il faut démontrer avoir une manière “honnête” de gagner sa
vie et obtenir l’accord de la police et du personnel médical chargé du
contrôle sanitaire.
Cet agencement répressif du milieu
prostitutionnel met en évidence la mainmise du ministère de l'Intérieur
sur les travailleuses du sexe.
Néanmoins, ceci n'empêchera pas
l'attaque et la fermeture de plusieurs bordels étatiques après la
révolution, à l'initiative de groupes d'extrémistes religieux, dans un
silence parfois jugé complice des autorités.
Face aux agressions subies par ces dernières, notamment lors des
affrontements dans l'impasse Sidi Abdallah Gueche à Tunis, les agents de
police en civils toujours omniprésents n'ont pas su contenir les
extrémistes religieux venus saccager et brûler les chambres des
prostituées. Ces policiers avaient été accusés de complaisance avec les
assaillants, mais cette complicité présumée n'a pas été prouvée.
"Il
n’ y a pas une volonté politique concrète pour lutter contre le
terrorisme, la prostitution, la contrebande, le trafic de la drogue…Tous
ces crimes sont en étroite liaison et, profitant du chaos, les réseaux
qui les animent ont infiltré l’institution sécuritaire."
La
précarité de ces travailleuses du sexe aujourd'hui au chômage ou en
situation irrégulière ne suscite ni l'intérêt d'une grande partie de la
société civile, ni la préoccupation du gouvernement même si l'État
tunisien évoque dans sa Constitution le droit des citoyens et citoyennes
au travail dans des conditions décentes.
En mars 2014, leurs revendications sociales on été entendues par Mehrezia Labidi, vice-présidente de l'Assemblée constituante.
Le
besoin urgent de réformes légales et sociales pour concernant le
travail du sexe n'est toujours pas à l'ordre du jour dans les programmes
des partis politiques, ni la priorité des députes de l'Assemblée.
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